La première ministre britannique Theresa May, au Parlement, le 12 mars 2019. / JESSICA TAYLOR / PRU /AP

Les négociateurs du Brexit, du côté des Européens, n’ont jamais pensé que le divorce entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union serait un parcours de santé. Démêler plus de quarante ans de coopération économique et politique : la tâche s’annonçait titanesque, quand les discussions entre Michel Barnier et le gouvernement britannique ont commencé, en juin 2017. Mais de là à imaginer un tel fiasco ? Même les plus pessimistes seraient à l’époque passés pour des mythomanes.

Et pourtant, mardi 12 mars, à dix-sept jours du Brexit, Theresa May a pour la deuxième fois lourdement échoué à faire endosser le traité de divorce à la Chambre des communes. Et les scénarios restant sur la table sont soit un « no deal » cauchemardesque, soit un report du divorce pouvant (très hypothétiquement) aboutir à un « pas de Brexit du tout » en cas de nouvelles élections, ou n’ayant pour seul effet que de repousser le spectre du « no deal » de quelques semaines.

« Nos marges de manœuvre ont été épuisées »

Réagissant conjointement, et de manière cinglante, la Commission et le Conseil européen ont fait savoir, mardi soir, que « le résultat du vote [avait] significativement augmenté l’éventualité d’un “no deal” ou la possibilité d’une absence de Brexit ». Les préparatifs en vue d’un « no deal » sont « désormais plus importants que jamais », a ajouté sur Twitter Michel Barnier, le négociateur en chef pour les Vingt-Sept.

« Vu l’ampleur du rejet dont a fait l’objet le traité de divorce à la Chambre des communes [391 voix contre, seulement 242 pour], il est clair qu’il n’y a plus du tout de ­discussions possibles, toutes nos marges de manœuvre ont été épuisées », a réagi un diplomate européen mardi.

La France « regrette » le rejet de l’accord sur le Brexit par la Chambre des communes, et estime que « la solution à l’impasse actuelle ne peut être trouvée qu’à Londres », selon une source élyséenne, confirmant ce sentiment général du côté des Vingt-Sept : le temps des négociations avec Londres est définitivement terminé. Le Royaume-Uni est à un moment de vérité, il doit affronter son destin seul.

Devant le Parlement britannique, à Londres, les anti-brexiters manifestent juste avant le second vote des parlementaires sur le projet d’accord de sortie de l’Union européenne – qui se soldera par un refus du texte par 391 voix contre 242, le 12 mars 2019. / TOLGA AKMEN / AFP

« Nous avons fait notre possible »

A Bruxelles, c’est un sentiment de gâchis, d’énorme perte de temps et d’énergie qui domine. Personne ne se fait d’illusions sur le traité du divorce de nouveau rejeté à Londres : il n’avait rien d’une panacée pour les Britanniques et protégeait surtout les intérêts des Vingt-Sept, mais il était équilibré, et proposait un divorce honorable et ordonné.

A ce stade, ils ne veulent pas prêter le flanc à la critique, ni à celle des Britanniques, ni à celle de leurs propres opinions publiques nationales. Si le Brexit est à ce point dans l’impasse, ce n’est pas de leur faute.

« Nous avons fait tout notre possible pour aider la première ­ministre à [faire ratifier] l’accord de divorce. Nous avons donné des ­assurances supplémentaires en décembre 2018, en janvier, et encore hier. Il est difficile de voir ce que nous aurions pu faire de plus », explique un porte-parole de Donald Tusk, le président du Conseil.

Lundi 11 mars au soir, au Parlement européen, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Mme May, se sont accordés à la toute dernière minute sur une « interprétation juridiquement contraignante » censée clarifier une partie très controversée à Westminster du traité de divorce : le « backstop », ce filet de sécurité contre le retour d’une frontière dure en Irlande.

Mais de cette chorégraphie strasbourgeoise, Mme May n’a ramené à Londres qu’une extinction de voix… Dès mardi midi, le procureur général Geoffrey Cox démontait ses efforts, estimant que le document décroché à Strasbourg ne garantissait pas au Royaume-Uni de pouvoir sortir unilatéralement du filet de sécurité irlandais.

Report de six mois ou « délai technique » de quelques semaines ?

Diplomates et fonctionnaires européens vont continuer d’assister en spectateurs, mercredi 13 et jeudi 14 mars, aux autres votes de la Chambre des communes. Ils craignent assez peu l’issue de celui programmé sur le « no deal », mercredi, estimant déjà depuis plusieurs semaines qu’une majorité existe contre un Brexit « désordonné ». Le « no deal » peut très bien advenir, mais plutôt « par accident », si jeudi, par exemple, les élus britanniques ne parviennent pas à s’entendre pour réclamer un report du divorce.

Ce report, les Vingt-Sept l’ont redit mardi soir : ils sont prêts à l’accorder (l’unanimité est nécessaire), si Londres en fait la demande en bonne et due forme, avant le 29 mars. Mais attention, pas question de donner un feu vert sans conditions : la requête britannique doit être motivée. Surtout si elle va au-delà des élections européennes de la fin mai.

Si les Britanniques veulent un report du Brexit de six mois ou plus, ils doivent participer aux élections européennes de mai.

A ce propos, les Européens ont d’ailleurs durci leur position. Quand MM. Tusk et Juncker ont pour la première fois évoqué ­officiellement le report comme une possibilité, en février, ils n’avaient pas posé leurs conditions. Depuis, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont recadré le débat : si les Britanniques souhaitent un report de six mois ou plus, ils doivent participer aux élections européennes de mai, et justifier qu’un élément nouveau (référendum, élections générales) soit intervenu dans leur paysage politique.

Sinon, Londres devra se contenter d’un délai « technique » de quelques semaines. Jusqu’au 23 mai au plus tard, premier jour du scrutin des élections européennes, a déclaré M. Juncker depuis Strasbourg lundi soir. Le service juridique du Conseil estime, lui, que le Brexit pourrait être décalé jusqu’à fin juin. Juste avant la première session plénière du nouveau Parlement, sans que ce report ne fasse courir un risque juridique à l’Union tout entière, si le Royaume-Uni ne participe pas aux élections.

Mais au regard de la gravité de la situation, cette petite divergence d’interprétation n’a que peu d’importance… Un mois de répit en plus ou en moins aidera-t-il les Britanniques à sortir de l’impasse ? Probablement pas, estime-t-on à Bruxelles. Les esprits européens les plus chagrins – et ils sont désormais nombreux –, craignent qu’il serve surtout à peaufiner la préparation du « no deal ».

Personne ne souhaite en arriver là chez les Vingt-Sept, mais la « fatigue » du Brexit est désormais telle que cette catastrophe annoncée fait moins peur que le prolongement indéfini, et totalement vain, des pourparlers avec Londres.

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