Grâce à l’opération « Yako ! », Mariam Cissé, ici le 19 février 2019, a pu ouvrir sa petite boutique de lingerie dans le quartier poulaire de Yopougon, à Abidjan. / SIA KAMBOU / AFP

« Ce fonds a complètement changé ma vie », exulte Mariam Cissé, qui est veuve. L’opération d’indemnisation des victimes de la crise post-électorale de 2010-2011 connaît un franc succès en Côte d’Ivoire, où les bénéficiaires se disent toutefois inquiets d’un retour des violences, à un an de la présidentielle.

« J’étais désespérée, après le décès de mon mari. J’étais mendiante. Je quémandais de gauche à droite pour nourrir mes enfants », témoigne-t-elle, assise dans sa petite boutique de lingerie dans le quartier populaire de Yopougon à Abidjan, théâtre de nombreuses exactions durant la crise post-électorale. « Grâce au fonds j’ai pu ouvrir une boutique. J’arrive à me prendre en charge et à scolariser mes enfants », raconte-t-elle, entourée de ses enfants. « Ce commerce m’a redonné goût à la vie, je me sens naître de nouveau », raconte la quinquagénaire en écrasant une larme, assise devant une petite maison délabrée.

La Côte d’Ivoire a connu une décennie de troubles entre 2002 et 2011, avec un pays coupé en deux entre pouvoir et rebelles. Les tensions ont culminé avec la crise post-électorale de 2010-2011 qui a « fait 3 248 morts et plus de 1 000 blessées et invalides », selon la ministre ivoirienne de la solidarité et de la cohésion sociale, Mariatou Koné, qui pilote l’opération de « réparation des préjudices » alimentée par un fonds gouvernemental de 15 millions d’euros. Le pays, première économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui regroupe huit pays, a connu des crises depuis 1990 et l’avènement du multipartisme, « mais c’est la première fois […] que l’on effectue des réparations de préjudices », précise-t-elle.

« C’est une fierté pour nous »

Depuis 2017, 3 000 victimes sur les 3 243 recensées ont reçu chacune un chèque d’un million de francs CFA (quelque 1 500 euros) pour « les droits violés, les dommages subis et les outrages endurés », une opération appelée « Yako ! » (« pardon » ou « condoléances » en langue akan). Soit un taux de réalisation de 90 %. La commission chargée de l’opération avait tenté d’adapter le concept de justice « transitionnelle » instauré dans l’Afrique du Sud post-apartheid, qui avait permis à ce pays, à force d’écoute et de dialogue entre bourreaux et victimes, de ne pas sombrer dans le chaos.

« Le Mali, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Togo sont venus à notre école pour s’inspirer de notre modèle. Le fait que nous ayons pu franchir le pas et commencer les indemnisations a été fortement apprécié. C’est une fierté pour nous », affirme Mariatou Koné. « Nous avons des craintes pour 2020. On a commencé à avoir le sommeil difficile […]. Nous avons peur à cause des propos des politiciens », précise Mamadou Soromidjo Coulibaly, président de la principale association de victimes de la crise. « Nous devrons faire en sorte que nous n’ayons pas à revivre ce que nous avons connu en 2011, en étant tolérant […] dans nos comportements, conseille la ministre. Nous n’avons qu’un seul pays. »