C’est un « serrage de vis », disent les syndicats d’enseignants. Un « calage » plutôt qu’un « recadrage », nuance-t-on au ministère de l’éducation. Le courrier signé du « DGRH » de la Rue de Grenelle, Edouard Geffray, et adressé le 8 mars aux recteurs et directeurs d’académie, n’en finit pas de faire parler de lui depuis sa diffusion par le site d’informations « Le Café pédagogique ».

« L’attention de mes services a été appelée sur le cas de professeurs qui ont refusé de faire passer les évaluations de CP, de CE1 ou de 6e, ou d’en transmettre les résultats », peut-on y lire, en référence aux tests développés par M. Blanquer à différents niveaux de la scolarité. Code de l’éducation et statut des professeurs à l’appui, M. Geffray, au nom de son ministère, y explique que « le refus de procéder à l’évaluation des élèves constitue une faute professionnelle ». Il conclut en enjoignant à l’échelon hiérarchique académique d’« apprécier le comportement de chacun des professeurs concernés et le respect de la procédure disciplinaire ».

Sur le terrain de l’école, si les protocoles d’évaluation ont suscité de nombreuses critiques, au point qu’une intersyndicale demande leur abandon, on n’a pas perçu de vaste mouvement de boycott – rien, en tout cas, de l’ampleur des « désobéisseurs » en 2008, du temps où Xavier Darcos était ministre de l’éducation. « Pas de remontées significatives », souffle-t-on Rue de Grenelle, où l’on défend « des évaluations au service des élèves et de leurs progrès », « améliorées » au fil des passations. « Impossible de quantifier le phénomène », reconnaît-on au SNUipp-FSU, syndicat majoritaire, en précisant toutefois que les « refus de passation » ont été plus nombreux en janvier, lors de la seconde salve d’évaluations, qu’à la rentrée. Le SE-UNSA fait, lui, état de « boycotts partiels ou totaux de passation ou de saisie des résultats ».

Vecteur de mobilisation

Dans les rangs des enseignants du second degré aussi, les évaluations sont en passe de devenir un vecteur de mobilisation : à Reims, Nantes et Toulouse, le SNES-FSU fait état d’enseignants mettant 20/20 à tous leurs élèves pour protester contre la réforme du lycée ; « Eux aussi sont menacés de sanctions », affirme Claire Guéville, porte-parole syndicale.

Que risquent-ils ? Une loi de 1961 prévoit que, lorsqu’une partie des obligations de service d’un fonctionnaire n’est pas accomplie, il y a « service non fait », rappelle le juriste Bernard Toulemonde, qui n’exclut pas des retraits sur salaire.

Pour L. (elle a requis l’anonymat, comme tous les professeurs impliqués), l’« affaire » a déjà pris de « graves proportions ». En septembre, cette enseignante en Ile-de-France avait « joué le jeu » et fait passer les premiers tests à ses CP. En janvier, elle a décidé de s’en passer, « pour ne pas faire perdre de temps aux enfants ». « Dénoncée », « mise sous pression », elle confie avoir « craqué ». Un arrêt maladie a suivi. L’inspection, dit-elle, a puisé dans la brigade de remplacement pour faire appliquer les directives.

J., qui enseigne en Normandie, s’est, elle, soumise au protocole, en dépit des critiques qu’il lui inspire. « En tant que fonctionnaire, j’avais à le faire passer, souligne-t-elle. Accessoirement, ce bilan d’étape m’a permis de constater que la majorité de mes élèves maîtrisent ce que nous avons travaillé… et pas ce que nous n’avons pas encore travaillé. C’est rassurant : je sers à quelque chose ! »