Venezuela : plongée dans le noir, la capitale manque d'eau potable
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Après cinq jours de panne d’électricité généralisée, le courant revient progressivement au Venezuela, mercredi 13 mars. On ne compte plus les kilos de viande jetés, rendus impropres à la consommation par l’impossibilité de les maintenir au frais, ni même les heures d’attente passées à acheter de l’eau potable ou de la glace à des prix très élevés. Pour les Vénézuéliens de la diaspora en France, c’est l’attente et l’incertitude qui furent insoutenables.

Gabriela, mère de famille de trois enfants installée en périphérie parisienne depuis deux ans, s’inquiète toujours pour sa mère restée au pays, à Valencia, une grande ville de plus de 700 000 habitants. Elle n’avait pas pu la contacter depuis le début de la panne, le 7 mars.

« Elle vient de se connecter, la lumière est revenue, mais elle me dit qu’il n’y a pas de radio ni de nourriture ; l’eau n’est pas arrivée, mais elle va bien. C’est vraiment stressant parce que je suis impuissante. Je ne dors plus. »

Rester en contact avec les familles et proches restés au pays est compliqué pour beaucoup. Orlando, arrivé en France en 2013, est, lui aussi, resté sans nouvelles de ses parents depuis jeudi. Ils habitent en banlieue de Caracas, à proximité d’El Hatillo. Les seuls échos qu’il obtient de la situation proviennent de sa tante, qui réside dans l’une des rares parties de la ville à conserver de l’électricité.

« Mon père est atteint d’un cancer. On a déjà eu du mal à lui trouver les médicaments adéquats, nous avions trouvé deux mois de traitement grâce à une femme dont le mari est décédé. Ces médicaments doivent être gardés au froid. Ma mère a 69 ans, elle a dû courir la ville pour les sauver, en les entreposant chez sa sœur qui avait la chance d’avoir de l’électricité, ou même dans une pharmacie à 10 km qui a mis ses frigos à disponibilité. Mon père avait une séance d’immunothérapie en fin de semaine, mais si l’électricité ne revient pas, il ne pourra rien faire. Il suffit d’une complication et ils sont morts. »
« On peut compter sur la solidarité des gens sur des groupes WhatsApp (…), mais c’est difficile de trouver des choses fiables »

Face au chaos provoqué par l’absence de réseaux de communications fonctionnels au pays, les Vénézuéliens en France restent suspendus aux réseaux sociaux, à l’affût des moindres changements. C’est le cas de Maria : « On ne sait pas ce qu’il peut se passer. Je ne sais pas ce que va devenir mon pays. On peut compter sur la solidarité des gens sur des groupes WhatsApp qui sont prêts à rendre service, ou sur les groupes Facebook où on tente de réunir l’information pour la rendre disponible pour tous. Mais c’est difficile de trouver des choses fiables. » Sur le principal groupe de la diaspora à Paris, on tente de dénicher de nouveaux outils pour communiquer, comme l’application FireChat, qui fonctionnerait sans Internet. Certains partagent une liste de lieux où l’on peut trouver du réseau mobile dans les environs de la capitale.

« Ils ne font que survivre aujourd’hui »

Une Vénézuélienne dans son logement à Caracas, privée d’électricité, le 9 mars. / CRISTIAN HERNANDEZ / AFP

La panne d’électricité n’a fait que s’ajouter à la liste des troubles que connaît le pays depuis des années, sur fond de crise alimentaire et de défaillance généralisée du système. Trouver de la nourriture est un défi au quotidien pour les nombreux habitants, la panne a rendu l’affaire impossible. C’est le cas à Mérida, grande ville de province, à l’ouest. « La situation y est très difficile pour mes parents. L’électricité n’y est pas du tout revenue avant aujourd’hui. Tous les supermarchés sont fermés, donc il est même impossible d’acheter quoi que ce soit, ils n’acceptent plus que l’argent liquide ou les dollars », se désole Isabel, une avocate installée en France depuis deux ans et demi :

« Ils ont tout perdu, tout ce qu’ils avaient acheté et stocké par anticipation lorsqu’ils avaient un peu de sous. Ça représente vingt kilos de viande ; l’équivalent de deux mois de repas a pourri. Ils ne font que survivre aujourd’hui. »

La situation actuelle reste incertaine, l’électricité est encore instable dans les zones où elle a été rétablie. Les pannes sont courantes dans le pays depuis des années, du fait de l’état vétuste des infrastructures.

« Savoir ce que vit ma famille actuellement est extrêmement douloureux. Je ne souhaite à personne ce que j’ai pu ressentir pendant ces jours de silence. Je suis en colère, frustrée et je me sens coupable parce que moi je suis ici et je vais bien. »
Plus d’une vingtaine de morts parmi les patients souffrant de maladies rénales

Et pour les Vénézuéliens, le cauchemar n’est pas terminé. On attend le bilan de cinq jours d’angoisse. L’ONG Coalition des organisations pour le droit à la santé et à la vie (Codevida) fait état de plus d’une vingtaine de morts parmi les patients souffrant de maladies rénales, faute de dialyse. « On ne sait pas l’impact réel que ça a eu. Il n’y a même pas de chiffres officiels, on voit passer des messages qui nous disent qu’il y a eu plus de deux cents à trois cents morts dans les hôpitaux, mais on n’en sait rien », s’inquiète Maria.

En attendant la stabilisation de l’électricité et le rétablissement de l’eau courante, les Vénézuéliens de France s’organisent. L’association Venezuela te Necesita met en place, le 31 mars, une collecte de médicaments et de lait maternel pour un envoi au pays. Gabriela et son mari ont prévu de s’y rendre. « Nous faisons ce que nous pouvons avec peu de choses, on ne vit que sur un salaire dans la famille, mais c’est toujours mieux que là-bas. Nous avons quelques médicaments de côté qu’on va amener à cette collecte. » Dans l’espoir et dans l’incertitude, les Vénézuéliens attendent.

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