LA LISTE DE LA MATINALE

Au menu cette semaine, Bertrand Blier et son Convoi exceptionnel, une famille irlandaise contrainte de vivre dans sa voiture, la chronique d’une vie disloquée à l’ombre du mur des Lamentations, l’enfance qui passe dans un foyer aux marges de la société américaine.

« Convoi exceptionnel » : Depardieu et Clavier en route pour nulle part

Convoi Exceptionnel - Bande Annonce Officielle - UGC Distribution
Durée : 01:40

Neuf ans après Le Bruit des glaçons, qui faisait déjà tinter la coupe amère du cancer à nos oreilles, Bertrand Blier, sémillant octogénaire, revient pour s’occuper expressément du convoi funéraire. Problème : il a oublié le chemin du cimetière, égaré la liste du cortège, perdu jusqu’au macchabée en route, de sorte que le tableau tourne sinon à l’exceptionnel, du moins au cadavre exquis.

Qu’on en juge. Propos liminaire : les deux héros – le déclassé Taupin (Gérard Depardieu) qui pousse un chariot de supermarché, et le bourgeois Foster (Christian Clavier) en manteau poil de chameau – s’aboient dessus on ne sait trop pourquoi, au milieu d’une chaussée encombrée par un embouteillage, manifestation motorisée de l’absurdité de la condition humaine. De fil en aiguille, la conversation prend un tour plus paisible, mais pas moins bizarre. « J’ai beaucoup merdé », confesse Taupin/Depardieu, à quoi Foster/Clavier répond, consultant une brochure qu’il sort de sa poche, que ce n’est pas le tout, mais qu’ils ont rendez-vous à la séquence dix-sept avec un type qui s’appelle Jérôme Leréveillé et qu’ils doivent l’assassiner.

La suite est à cette aune, nous proposant dans le sillage des deux monstres qui l’incarnent une errance mélancolique, grinçante, touchante, dans les arcanes de la création et du cinéma. Jacques Mandelbaum

« Convoi exceptionnel », film français de Bertrand Blier. Avec Gérard Depardieu, Christian Clavier, Farida Rahouadj, Audrey Dana, Alex Lutz (1 h 22).

« We the Animals » : trois enfants américains vers leur destin

🎥 WE THE ANIMALS (2018) | Full Movie Trailer in Full HD | 1080p
Durée : 02:51

Dans un foyer américain aux marges de la société, à la lisière de la ville, trois garçons grandissent, exposés aux vents mauvais – le manque d’argent, l’incertitude des lendemains, la brutalité masculine. Le plus jeune fête ses 10 ans, ils ne seront bientôt plus des enfants, les murs trop minces qui les abritent encore un peu ne pourront plus les contenir.

L’enjeu est aussi écrasant qu’ordinaire, sur un écran de cinéma comme dans la vie. Documentariste qui passe ici pour la première fois à la fiction, Jeremiah Zagar s’est appuyé sur le roman semi-autobiographique de Justin Torres et sur le travail de son chef opérateur, Zak Mulligan, pour sortir son trio enfantin du tout-venant de la production indépendante américaine. We the Animals s’en distingue par sa grâce, une élégance qui nimbe le quotidien de mystère.

La voix off de l’un d’entre eux, Jonah, la caméra placée à hauteur d’enfant affirment dès les premiers plans le désir de Jeremiah Zagar. Il veut voir ce microcosme à travers le regard clair de son jeune héros qui, au fil des séquences, se fait plus acéré, sans rien perdre de sa faculté d’émerveillement.

Ce qui apparaissait comme des fragments arrachés aux jours d’été – trois garçons qui courent en hurlant, des moments de calme sur la moquette du salon, au pied des adultes – se cristallise en une série d’épisodes qui amènent inexorablement Jonah vers la sortie du cocon. Thomas Sotinel

« We the Animals », film américain de Jeremiah Zagar. Avec Evan Rosado, Raul Castillo, Sheila Vand (1 h 34).

« Rosie Davis » : un film âpre et digne sur la précarité d’une famille irlandaise

ROSIE DAVIS Bande Annonce (2019) Drame
Durée : 01:57

Privés de logement après que le propriétaire a décidé de vendre leur maison, les Davis ne possèdent désormais plus d’autre habitacle que leur véhicule, dont le coffre déborde de sacs-poubelle contenant leurs vêtements et le nécessaire pour la toilette.

John Paul, le père (Moe Dunford) travaille et s’éreinte en heures supplémentaires dans un restaurant pendant que Rosie, sa femme (admirable Sarah Greene), conduit les enfants à l’école les uns après les autres, enchaîne les appels téléphoniques à destination des hôtels susceptibles de les accueillir au moins une nuit, va rechercher les gosses qu’il faut ensuite occuper et calmer.

Le film est né d’un fait réel, le témoignage d’une femme sans-abri que l’écrivain Roddy Doyle, après l’avoir entendu à la radio, a immédiatement eu envie d’écrire. Fidèle à cette approche naturaliste, Paddy Breathnach a tourné à Dublin, parmi les passants, sur des parkings, dans des écoles. Il a placé sa caméra à l’intérieur de la voiture, là où se déroule une grande partie du film, collant aux visages, aux vitres embuées par la condensation, aux mouvements restreints des corps coincés dans l’espace. De cette alchimie naît un film d’une énergie folle et bouleversante. Véronique Cauhapé

« Rosie Davis », film irlandais de Paddy Breathnach. Avec Sarah Greene, Moe Dunford, Ellie O’Halloran (1 h 26).

« Wall » : une Israélienne qui va droit au mur

הקיר - מורן איפרגן // Wall - Moran Ifergan
Durée : 01:34

Loin des sentiers plus ou moins battus de la fiction, Moran Ifergan s’illustre avec ce film à la croisée de l’essai documentaire et du journal intime, dans la droite ligne de son compatriote David Perlov, magistral pionnier du genre en Israël.

Intégralement tourné en caméra subjective à l’ombre du mur des Lamentations, Wall est la chronique d’une vie personnelle disloquée, dont le sel réside dans le violent contraste entre son et image, aussi séparés que peuvent l’être dans la religion juive le carné et le lacté.

Côté image, donc, l’apparat collectif du mur des Lamentations, vestige saint du Temple détruit de Jérusalem, preuve historique de la légitimité de la présence juive en ces lieux, symbole politique de la pérennité et de l’union du peuple juif manifesté dans son martyre et dans sa rédemption. Côté son, des extraits de dialogues téléphoniques entre la réalisatrice, dont le visage nous restera caché, et une poignée d’interlocuteurs (sa mère, son mari, un ex-amant palestinien…) qui tendent à prouver que l’existence de cette citoyenne israélienne en particulier est à peu près aussi écroulée que le Temple en question, et qu’il lui faut bien un mur pour tenter de se soutenir un tant soit peu. L’ensemble offre un bel et dissonnant éloge de l’impureté sous un régime qui la tolère de moins en moins. J. M.

« Wall », film israélien de Moran Ifergan (1 h 07).