Opération d’augmentation mammaire au centre médical Hadassah, à Yaoundé, le 22 février 2019. / Josiane Kouagheu

Miriam* s’est endormie. Un œil sur les écrans de contrôle, Mary, l’anesthésiste, veille, pendant que l’infirmière et le médecin, à genoux sur le sol carrelé du bloc opératoire du centre médical Hadassah, à Yaoundé, implorent Dieu d’« assurer la réussite de l’intervention ». Ce matin, l’opération est triple : « liposuccion du ventre, augmentation mammaire et rajeunissement du visage », détaille Sammy Oben, le chirurgien plasticien.

La patiente vient de Maroua, dans la région de l’Extrême-Nord, au Cameroun. A 35 ans, cette femme d’affaires en paraît 20 de plus. « Je me sens moche. J’ai le visage ridé, les seins affaissés, un gros ventre. Aucun homme ne me drague, confie-t-elle la veille de l’intervention, au bord des larmes. Quand mon fils unique est décédé, j’ai fait une dépression. Aujourd’hui, je ressemble à une femme de plus de 50 ans. »

« Psychologiquement atteinte », « honteuse », « malade de son corps », Miriam a passé plus de cinq ans à « chercher une solution ». Lotions, sport, astuces de beauté, visites chez les marabouts… Du Cameroun au Bénin, elle a « tout tenté » pour changer d’apparence. En vain. Alors elle a décidé de se tourner vers la chirurgie esthétique. Avant de découvrir la clinique du docteur Oben, son idée était de se rendre au Maroc. Mais les images de femmes « transformées », sur la page Facebook du centre Hadassah, l’ont convaincue et elle a pris rendez-vous.

Pour Miriam, Sammy Oben débute avec la liposuccion du ventre. La graisse aspirée qui transite par un tuyau relié à l’aspirateur chirurgical va se déverser dans un bocal avant d’être filtrée, purifiée, centrifugée et réintroduite dans les deux seins qui prennent forme peu à peu. Les gestes sont méticuleux, mais « c’est sans danger », explique le chirurgien. « Miriam va faire tourner la tête des hommes avec ses nouveaux seins tout ronds », ajoute-t-il, sûr de lui. Une fois cette séquence finie, il s’attaque au visage, y injectant de la graisse et des cellules souches extraites elles aussi du corps de la patiente.

Au bout de six heures d’opération, Miriam passe en salle de réveil, puis le docteur lui rend visite. « J’aime voir le sourire des opérées, c’est ma récompense », insiste celui qui, à raison de quatre opérations mensuelles, a « transformé » une centaine de patients, surtout des femmes, depuis qu’il exerce comme chirurgien plasticien. Liposuccion, réduction ou augmentation mammaire, rajeunissement du visage, vaginoplastie et abdominoplastie sont les opérations les plus demandées.

« J’ai commencé sans rien »

« Les gens ont du mal à croire qu’on pratique la chirurgie esthétique au Cameroun. Certains disent que je prends des images sur Internet pour faire ma promotion, s’amuse Sammy Oben en agitant ses mains gantées. Pourtant, j’ai fait ma première intervention chirurgicale esthétique ici, une réduction mammaire, il y a huit ans déjà. »

Après avoir obtenu un diplôme en médecine générale au Nigeria, le docteur Oben est revenu au Cameroun pour se spécialiser en chirurgie à l’université de Yaoundé. Là, séduit par son travail, son mentor lui lance un jour : « Tu opères comme un chirurgien plasticien. Je vais tout faire pour que tu en deviennes un. » En 2008, grâce à une bourse, il part se spécialiser deux ans en Belgique et complète avec d’autres formations, notamment en France et en Roumanie. « Un jour, je participais à un cours de dix jours, en Angleterre, qui coûtait 3 000 livres [environ 3 470 euros]. Etonné, le professeur m’a demandé si j’étais un fils de ministre, se souvient Sammy Oben. Je n’étais pas riche, mais je sacrifiais tout pour apprendre. »

Après une thèse sur « l’abdominoplastie et ses complications », il rentre au pays en 2010, répondant à l’appel du gouvernement camerounais à ses praticiens exilés. Le docteur déchante pourtant rapidement quand les responsables de l’hôpital central de Yaoundé lui font sentir qu’ils ne voient pas l’utilité d’un chirurgien plasticien. Il se réfugie alors pendant un an dans l’hôpital de son village, « sans véritable salaire », avant que son épouse le convainque d’ouvrir son propre centre médical à Yaoundé.

Ensuite, tout s’enchaîne vite. Il réinvestit les gains de ses interventions dans l’équipement de sa clinique. Un groupe électrogène de 7 millions de francs CFA (environ 10 670 euros), une centrifugeuse, une salle de stérilisation complète, des appareils d’anesthésie, six bouteilles d’oxygène avec compresseurs… C’est le prix de la sécurité. « J’ai commencé sans rien, au plus bas de l’échelle. Mais tous les jours, je me perfectionne et j’achète de nouveaux équipements pour garantir la vie de mes patients », insiste-t-il, fier de n’avoir jamais eu de complications graves.

Un risque d’addiction

Ses patientes ne tarissent pas d’éloges. Sonia*, 42 ans : « Il est mon réparateur esthétique », « mon sauveur »… « Ce monsieur m’a redonné confiance en moi et je suis devenue une nouvelle personne, mille fois mieux que l’ancienne », témoigne cette femme qui avait pris plus de 40 kilos après ses trois accouchements. « Son ventre était si énorme qu’il couvrait son appareil génital, se souvient le médecin. Traumatisée, elle ne portait plus que des vêtements amples pour se camoufler. » Jusqu’à son opération, en janvier. « Regardez-moi aujourd’hui ! Mon teint est éclatant, je porte à nouveau des vêtements sexy, je me sens si bien », crâne Sonia en soulevant son chemisier en soie pour nous montrer son ventre plat et ses seins refaits.

Comme Sonia et Miriam, de plus en plus de Camerounaises se tournent vers la chirurgie esthétique. A Douala et Yaoundé, Le Monde Afrique a compté trois centres. Avant, beaucoup se rendaient en Europe ou en Afrique du Nord pour se faire opérer ; aujourd’hui, la demande locale a crû, même si, ici comme ailleurs, le frein est financier. Ces interventions peuvent coûter jusqu’à 3 millions francs CFA, voire plus, mais Pélagie* dit se moquer de la facture. Elle anticipe sa « joie finale », son « bonheur de ne plus être complexée ». La trentenaire, gênée depuis des années par ses « grosses cuisses », est venue en consultation pour une liposuccion chez le docteur Oben et se dit « prête à payer pour [se] libérer ».

A la psychologue clinicienne Françoise Efogo Ze, qui estime que la chirurgie esthétique pose le problème de l’acceptation de soi et que « ces femmes ont des instabilités affectives, psychologiques et risquent de tomber dans l’addiction », Sammy Oben répond qu’« il faut laisser les femmes faire ce qui leur donne confiance ». Dans le groupe WhatsApp où il vient de publier les photos de sa dernière intervention, des réactions fusent. Sourire aux lèvres, le médecin saute d’un commentaire à l’autre : « Je cherche vite l’argent, j’arrive », « Docteur, je veux des seins comme ceux de cette femme »… « Laissons les femmes être belles », conclut le chirurgien en se dirigeant vers son bureau pour d’autres rendez-vous.

* Les prénoms ont été changés.