Dans le camp de transit d'Al-Hol, en Syrie, saturé par des civils ayant fui Baghouz, la dernière poche qui était encore tenue par l’organisation Etat islamique. / LAURENCE GEAI POUR "LE MONDE"

Editorial du « Monde ». La question se posait depuis des mois, depuis que se dessinait la défaite militaire de l’organisation Etat islamique, acculée dans ses derniers bastions du nord de la Syrie : que faire de ces Français – car ils sont français – qui, au nom du djihad, ont rejoint ces dernières années l’organisation Etat islamique en Syrie et en Irak et se trouvent détenus dans la région ?

Elle se pose avec d’autant plus d’acuité après la chute de l’ultime réduit de Baghouz. Depuis quelques jours, en effet, ce sont des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, combattants ou civils, qui, ayant survécu à l’enfer des derniers combats, sont acheminés vers des camps de fortune comme celui d’Al-Hol, installés par les forces à dominante kurde qui contrôlent la région. Et, parmi eux, un nombre incertain de Français : le gouvernement évoquait, il y a un mois, de 130 à 150 personnes, dont une majorité d’enfants très jeunes, mais, après la chute de Baghouz, leur nombre serait nettement plus important.

Pour les adultes, le problème relève déjà du casse-tête sécuritaire, juridique et politique. Pour ceux qui ont combattu en Irak, la France estime qu’ils doivent être pris en charge par la justice de ce pays. Pour ceux qui sont détenus par les forces kurdes en Syrie, la confusion est totale. En janvier, après l’annonce par les Etats-Unis du retrait de leurs troupes de la région, les forces kurdes avaient prévenu qu’elles ne seraient plus en mesure de détenir en sécurité les djihadistes prisonniers.

Le gouvernement semblait donc se résoudre à rapatrier les Français pour les juger en France et éviter qu’ils ne se dispersent dans la nature. Les tergiversations sur l’effectivité et le calendrier du retrait américain ont, pour l’instant, conduit le gouvernement à écarter ou à différer l’hypothèse d’un tel rapatriement.

La réalité chaotique sur le terrain

La situation des enfants est encore plus dramatique. Et le problème plus épineux pour les autorités françaises. D’un côté, l’émotion est inévitable devant les photos, comme celles que nous publions aujourd’hui, de ces bambins le plus souvent nés sur place et désormais égarés et piégés dans le chaos syrien, accompagnés d’un parent, quand ils ne sont pas orphelins.

Au nom de principes humanitaires élémentaires, des avocats ont élevé la voix pour réclamer le rapatriement de ces « victimes » en danger et dénoncer les « tergiversations » du gouvernement. En outre, quelques familles ou proches de djihadistes ou de leurs épouses multiplient les démarches pour obtenir le retour de ces enfants qu’ils se disent prêts à prendre en charge.

De son côté, l’embarras du gouvernement est également inévitable. Dès lors qu’un programme de retour des djihadistes n’est plus à l’ordre du jour, le rapatriement des seuls enfants n’est « pas envisagé à l’heure actuelle », selon les termes de Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat à l’intérieur, mercredi 13 mars, devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Cela conduirait, en effet, à séparer les enfants de leurs parents (le plus souvent de leur mère), ce qui paraît exclu. Reste le cas des orphelins, qui devront être pris en charge soit par leur famille d’origine, soit par une famille d’accueil.

Entre les principes humanitaires, les difficultés juridiques, la réalité chaotique sur le terrain, l’émotion devant ces situations dramatiques et les réticences politiques à voir rapatriés en France les djihadistes, l’équation est redoutable.