Lors du huitième de finale aller face à Arsenal, le 7 mars à Rennes. / LOIC VENANCE / AFP

Il a d’abord songé à prendre l’avion. Trop cher. L’Eurostar ? Trop risqué avec les grèves annoncées. Finalement, Pierre a opté pour un ferry au départ de Saint-Malo. Plus de dix heures de traversée pour rejoindre l’Angleterre. Peu importe. Le coprésident du Roazhon Celtic Kop (RCK), principal groupe de supporteurs rennais, n’aurait raté pour rien au monde le huitième de finale de Ligue Europa opposant le Stade rennais à Arsenal à l’Emirates Stadium, dans le nord de Londres, jeudi 14 mars.

Comme lui, plus de 5 000 fans bretons ont décidé de faire le déplacement. « Je n’ai jamais vu un tel engouement. La ville entière est en ébullition. Depuis quelques semaines, nous vivons sur notre nuage », s’emballe Pierre, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.

Débit mitraillette, il rejoue les derniers épisodes du bonheur local. D’abord, ce 16e de finale aller face au Bétis Séville devant un Roazhon Park de 30 000 places plein à craquer (3-3). Puis, le retour gagnant en Andalousie (1-3) suivi sur place par 3 500 aficionados rouge et noir.

Enfin, la réception d’Arsenal, jeudi 7 mars, à guichets fermés. Le club de la capitale bretonne – 220 000 habitants – a comptabilisé plus de 90 000 demandes de billets. Ce soir-là, l’enceinte d’ordinaire feutrée s’est métamorphosée en arène romaine au point de pousser l’équipe de Julien Stéphan à la victoire (3-1). Du jamais-vu ou presque.

« Enfin, les supporteurs peuvent bomber le torse »

Raymond Keruzoré, ancienne gloire et entraîneur du Stade rennais (1987-1991), doit rembobiner ses souvenirs pour se remémorer « une telle ferveur ». L’enthousiasme actuel ressemble à celui de la Coupe de France 1971 lorsque toute la Bretagne s’était rassemblée derrière le Stade rennais. En finale, Keruzoré et compagnie avaient battu Lyon, à Colombes. Le lendemain à Rennes, des dizaines de milliers de personnes avaient célébré ce second trophée de l’histoire du club.

Pour les Bretons souvent moqués comme les enfants de Bécassine, il s’agissait, quelque part, de « la revanche des ploucs ». « Cette victoire a contribué à l’affirmation de l’identité bretonne, appuie François Prigent, docteur en histoire contemporaine et enseignant à Sciences Po Rennes. La population s’est enthousiasmée pour cette équipe parce qu’elle développait un projet de jeu à l’image du régionalisme breton : ouvert, collectif, laborieux, brillant. »

Comme en 1971, les performances actuelles du Stade rennais ont un goût de revanche. De fierté retrouvée. « Enfin, les supporteurs peuvent bomber le torse. Nous savourons la situation comme un juste retour des choses après des années de déceptions », confie le responsable du Roazhon Celtic Kop.

Depuis son dernier titre, le club a entretenu une relation platonique avec ses fidèles. Le Stade rennais s’est révélé incapable de remporter le moindre trophée. La reprise de l’institution en 1998 par la famille Pinault n’a rien changé. Pire, le club a cultivé son âme shakespearienne.

A chaque fois que l’équipe laissait entrevoir l’extase à son public, elle s’est effondrée : billet pour la Ligue des champions confisqué dans les ultimes secondes en 2006, deux finales de Coupe de France perdues contre Guingamp en 2009 et 2014, une de Coupe de la Ligue soufflée en 2013…

« Coming out d’une ville qui gagne »

Ces désillusions ont façonné l’image d’un club maudit et terne. Pour Raymond Kéruzoré, les récents exploits européens ont « réhabilité » l’institution.

« Depuis mon arrivée au club, l’objectif premier de mes équipes consiste à rendre la communauté rouge et noire fière. Nous sommes sur la bonne voie pour inverser notre mauvaise réputation, estime Olivier Létang, président du club depuis novembre 2017. Le football français commence même à éprouver de l’affection pour notre équipe. Tant mieux. Je ne veux pas vivre cet instant comme une consécration parce que nous devons faire encore mieux ! »

Le Stade rennais veut s’assumer en ambassadeur de son territoire. Nathalie Appéré, maire de Rennes (PS), voit dans la bonne passe du Stade rennais le « coming out d’une ville qui gagne ». Cette aventure européenne doit servir, selon elle, d’« accélérateur de notoriété » à la métropole bretonne.

D’ailleurs, il existerait d’ores et déjà un « effet » Coupe d’Europe, d’après Vincent Aubrée, directeur de Destination Rennes, l’office de tourisme rennais : « En Andalousie ou à Londres, personne ne connaissait Rennes. Les performances de l’équipe et l’attitude conviviale des supporteurs ont eu un impact considérable sur la réputation de la ville. Aucune campagne de communication n’aurait pu nous permettre un tel impact. Ce qui se joue actuellement à Rennes dépasse largement le football. »

Vincent Aubrée croise les doigts pour que son équipe se qualifie ce jeudi, à l’Emirates Stadium. Pierre aussi. Le supporteur rennais est du genre prudent. Même si le club a ressuscité la ferveur rennaise, mieux vaut attendre le résultat de ce Arsenal-Stade rennais avant de se projeter vers un prochain déplacement européen.