Deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, ont été prises pour cible, vendredi 15 mars, par une attaque terroriste. A environ 13 h 40, les premiers coups de feu sont tirés. Quarante-neuf fidèles sont tués et cinquante autres gravement blessés.

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Dix minutes avant les premiers coups de feu, un internaute annonce, sur le forum d’extrême droite 8chan, être sur le point de commettre une action violente diffusée sur Internet. Dans son message figurent plusieurs liens, dont l’un renvoie à un profil Facebook au nom de Brenton Tarrant, sur lequel la vidéo de l’attaque est diffusée en direct, à partir de 13 h 34. Ce message contient également plusieurs liens vers un document de presque cent pages, dans lequel l’auteur se justifie pour l’attaque de deux mosquées de Christchurch.

Les autorités néo-zélandaises ont annoncé l’arrestation de trois personnes, dont un Australien d’une vingtaine d’années soupçonné d’être le tireur, ce qui correspond à l’autodescription de l’auteur dans son texte. Le lien entre le terroriste et l’auteur du manifeste n’a cependant pas été fait, à ce stade, par les autorités. La chronologie des faits accrédite cependant une connexion directe entre le terroriste et l’auteur du document.

Le manifeste est un document de revendication et donc de propagande, qui détaille l’obsession de son auteur pour la fin de l’Europe et le prétendu « remplacement » de sa population par l’immigration. Cette théorie, popularisée par l’essayiste d’extrême droite français Renaud Camus, donne d’ailleurs son titre à ce « manifeste ». Il cristallise la plupart des lubies de l’extrême droite et appelle les Européens à attaquer toute personne issue de l’immigration.

Une radicalisation sur Internet

Mais ce texte laisse apparaître à plusieurs reprises le rôle crucial qu’a joué Internet dans sa radicalisation et montre en creux comment certaines communautés en ligne, dans tous les pays occidentaux, ont glissé ces dernières années vers une extrême droite de plus en plus radicale.

L’auteur du manifeste identifie directement Internet comme le lieu où se sont formées ses convictions extrémistes, le seul qui échappe, selon lui, à ce qu’il perçoit comme une mainmise des médias et du pouvoir sur l’information et où peut être trouvée « la vérité » et « la liberté de penser » authentiques.

La stratégie observée ces dernières années dans les franges les plus radicales est exposée clairement, en particulier l’utilisation de blagues et de « mèmes », ces images à vocation humoristiques détournées à l’infini sur le Web, pour rallier des « jeunes hommes occidentaux » à une idéologie violente. Le document pointe aussi l’imaginaire de la force et de la virilité, très présent dans ces franges droitières. L’auteur incite ses lecteurs à utiliser Internet pour propager ses idées, à créer eux-mêmes des mèmes et à les propager, une méthode plus efficace, écrit-il, que « n’importe quel manifeste ».

Références à l’extrême droite en ligne

Par ailleurs, le document est émaillé de multiples références à la contre-culture de l’extrême droite en ligne. Son auteur semblait fréquenter assidûment les forums de discussion en ligne comme 4chan et 8chan, et notamment leurs sous-forums « pol », terrains privilégiés d’expression de l’extrême droite anglophone.

Ces forums anonymes, où n’importe qui peut publier des messages sans devoir s’inscrire, sont depuis longtemps l’un des endroits où naissent mèmes et autres détournements pro-Donald Tump, racistes et antisémites, voire clairement nazis – particulièrement sur 8chan, créé par d’ex-utilisateurs de 4chan, les plus radicaux. Le message annonçant la tuerie et posté sur ce forum a d’ailleurs suscité des commentaires admiratifs d’autres utilisateurs. Sans que cela ne permette de l’identifier formellement, l’image de profil utilisée par l’auteur des messages de revendication apparaissait dans de nombreux autres messages publiés sur ces forums.

Cette image de profil, comme de nombreux passages du manifeste, fait référence à des éléments de la « culture 4chan », faite de mèmes et d’expressions qui reviennent plus ou moins régulièrement dans les messages qui y sont publiés. L’image de profil est une référence à un épisode de la série Les Simpsons, dans lequel un médecin prononce la phrase « tiens-toi tranquille pendant que je te gaze » – référence par la suite utilisée en ligne par les néonazis.

Le « trolling » comme arme politique

Le manifeste contient aussi le « pavé Navy Seals », un texte régulièrement copié-collé sur ces forums pour se moquer d’un utilisateur jugé trop prétentieux. Plus généralement, plusieurs passages du manifeste semblent faire référence à la culture du « trolling » qui prévaut sur ces forums, un mélange de racisme, de provocation, de moquerie et de détournements.

Sur ces plates-formes, l’idéologie extrême est fréquemment enrobée de ce second degré trompeur. Le manifeste ne fait pas exception, et l’auteur y habille son idéologie mortifère d’un vernis ironique. Il utilise le trolling comme une arme politique destinée à faire comprendre aux autres membres de cette mouvance sa proximité avec eux. Certains passages, où il se compare à Nelson Mandela ou dit son admiration pour la Chine communiste, semblent relever de cette culture de la provocation plutôt que de l’affirmation politique.

Dans les images de la tuerie diffusée en direct, le terroriste fait directement allusion à ces éléments de la « culture 4chan ». On entend ainsi, diffusée par une enceinte connectée portée par le tueur, le son d’une vidéo serbe des années 1990, « Remove kebab », populaire auprès de l’extrême droite anglophone.

Le tueur fait aussi référence au très populaire youtubeur PewDiePie. Ce vidéaste, régulièrement accusé de dérapages racistes ou antisémites et qui pourrait perdre sa place de youtubeur le plus populaire au monde face à une chaîne de musique indienne, a récemment fait l’objet d’une campagne de soutien aux relents parfois racistes, incitant les utilisateurs à s’abonner à sa chaîne. Au tout début de la vidéo, l’auteur de l’attentat, qui se filme dans sa voiture, demande à ses spectateurs de « s’abonner à PewDiePie ».