HISTOIRE - Vendredi 15 mars - 20 h 40. Documentaire

L’accompagnement musical est doux, le commentaire sobre et précis, les extraits de lettres émouvants, les témoignages d’historiens éclairants. Et les archives d’époque, filmées ou photographiées, sont exceptionnelles. Consacré aux très nombreuses jeunes femmes ayant rejoint la Croix-Rouge lors du premier conflit mondial, ce documentaire provoque, de fait, une émotion inattendue. Devant le courage, l’abnégation, parfois l’héroïsme de ces femmes, souvent bourgeoises, que rien ne préparait à un tel chaos, on reste stupéfait.

Les scènes filmées dans les hôpitaux de campagne où l’on opère dans des conditions éprouvantes, les photos des malheureux salement amochés tournant leur regard vers ces « anges blancs », tout bouleverse. Les extraits de lettres envoyées du front par certaines infirmières également. « Lorsqu’on approche d’un blessé, une odeur âcre de sang, de transpiration et de fièvre vous prend à la gorge. » Ou encore :

« Je tente de déshabiller un malheureux mais, devant ses hurlements, je m’arrête, effrayée, et j’appelle un médecin. Il a tout le bas du ventre déchiré, la vessie déchirée, le pied écrasé. On le chloroforme et dans son rêve, il se croit encore à la bataille. Sa voix douce est devenue terrible. Une effroyable odeur de sang, de chairs meurtries et putréfiées flotte dans l’air… »

Hôpitaux près du front

Au fil des mois d’une guerre qui n’en finit pas, les méthodes d’utilisation de cette main-d’œuvre féminine de plus en plus indispensable évoluent. En 1914, elles sont 25 000 à se mobiliser. Il s’agit de soigner et d’apaiser bien sûr, mais aussi, parfois, d’une aventure personnelle, la possibilité de sortir du carcan d’une société dominée par les hommes, d’une forme de liberté. Dans les écoles, les couvents, les châteaux, on met en place des hôpitaux auxiliaires. La guerre fraîche, joyeuse et courte se transforme en cauchemar. Au début du conflit, les temps de trajets entre le front et les centres de soins sont si longs que les blessures ­s’infectent, s’aggravent. Fin 1914, plus de 70 000 bénévoles recrutées par la Croix-Rouge sont formées. Face à la féminisation des hôpitaux, des voix s’insurgent. Mais les événements balaient vite les réticences machistes.

Archive photo extraite du documentaire « Croix-Rouge, des femmes dans la guerre ». / VAL DE GRACE / CAMERA LUCIDA PRODUCTIONS

Arrivent ensuite des infirmières de la Croix-Rouge venue de l’étranger. Les Américaines sont basées à l’hôpital de Neuilly-sur-Seine, les Japonaises à l’hôtel ­Astoria, les Hollandaises au Pré Catelan. Quant aux jeunes femmes britanniques, belges et canadiennes, elles sont envoyées dans le nord de la France. D’abord réticent, le Service de santé des armées met du temps avant d’autoriser l’installation d’hôpitaux tenus par ces étrangères. En 1915, la carte hospitalière est réorganisée. On installe des hôpitaux près du front, de manière à opérer les blessés graves plus rapidement. Le système d’évacuation est aussi repensé et les femmes de la Croix-Rouge réalisent des miracles dans les ambulances chirurgicales automobiles, les péniches et les trains sanitaires.

En 1916, un nouveau statut voit le jour pour embaucher des infirmières. Dix mille d’entre elles vont travailler dans les hôpitaux du front, parfois au péril de leur vie. Certaines seront même décorées, mais, à la fin de la guerre, leur statut d’infirmière ne sera pas reconnu. Dans un univers militaire et patriarcal, les infirmières de la Croix-Rouge ont joué un rôle capital. Anonymes ou héroïques, elles ont fait avancer la cause des femmes. Et ce documentaire leur rend un bel hommage.

Croix-Rouge, des femmes dans la guerre, de Valérie Jourdan (Fr., 2018, 52 min). www.histoire.fr