Des enquêteurs emportent du matériel provenant de la maison du ministre norvégien de la justice, Tor Mikkel Wara, à Oslo, le 14 mars. / Heiko Junge / AP

En fin d’après-midi, jeudi 14 mars, le ministre norvégien de la justice, Tor Mikkel Wara, a annoncé qu’il allait faire « une pause ». Cet ancien communiquant, membre du parti du progrès (Fremskridtspartiet, FRP), une formation populiste anti-immigration, sera remplacé, jusqu’à son retour, par le ministre des transports. Selon les chroniqueurs politiques du royaume, toutefois, ses jours seraient comptés. Car comment pourrait-il reprendre son poste après l’interpellation jeudi de sa compagne, Laila Bertheussen, soupçonnée par les services de renseignement norvégiens (PST) de « fausse plainte » ?

A l’origine de l’affaire, déjà présentée comme un des scandales politiques les plus inédits de l’histoire du pays : l’incendie de la voiture du ministre, devant la maison familiale, dimanche 10 mars. M. Wara est en déplacement à l’étranger. Les services de renseignements, chargés de garantir la sécurité des personnalités politiques, se rendent immédiatement sur place. L’incident est jugé « très sérieux ».

Caméras de surveillance

Ce n’est pas la première fois que le ministre est l’objet d’intimidations et de menaces chez lui. Le 6 décembre, son domicile a été vandalisé. Sur les murs de sa maison et sa voiture, inscrits à l’encre rouge, le mot « raciste » accompagné d’une croix gammée. Les policiers trouvent une ficelle dans le réservoir du véhicule, laissant penser que les malfaiteurs avaient l’intention d’y mettre le feu.

Le 17 janvier, la poubelle du couple est incendiée devant sa résidence. Les enquêteurs soupçonnent un lien avec l’incident précédent. Le 11 février, un morceau de tissus est découvert sous la voiture du ministre devant sa maison. L’étoffe est attachée à une bouteille portant des traces de liquide inflammable. Le 2 mars, la police est de nouveau envoyée sur les lieux, après la découverte d’un colis suspect, dans la boîte aux lettres du couple.

Chaque fois, la compagne du ministre porte plainte. Des caméras sont installées autour de la maison. Mais le système de surveillance n’aurait pas fonctionné. Après l’incendie de la voiture, dimanche, Laila Bertheussen, blâme sur sa page Facebook une « défaillance technique » et déplore « une surveillance inadéquate ».

Les réactions de la classe politique sont unanimes. La première ministre conservatrice, Erna Solberg, dénonce une « menace contre notre société ouverte et démocratique ». De nombreux leaders politiques, y compris dans l’opposition, font part de leur effroi et de leur soutien au ministre et sa famille. « L’expérience est à la fois désagréable et effrayante, mais nous avons décidé de continuer à vivre normalement », réagit M. Wara.

Gêne palpable à Oslo

Mais rebondissement, jeudi 14 mars : à la surprise générale, le PST annonce avoir interpellé Laila Bertheussen, soupçonnée d’avoir mis le feu à la voiture du couple et d’avoir ensuite déposé une fausse plainte. Un délit qui pourrait lui valoir jusqu’à un an de prison. Et ce n’est pas tout, puisque les enquêteurs cherchent désormais à savoir si elle pourrait être également responsable des autres incidents.

La compagne du ministre a beau clamer son innocence, la gêne est palpable à Oslo. Jeudi soir, la chef du gouvernement conservatrice qui gouverne avec les populistes depuis octobre 2013, Erna Solberg, a évoqué « une tragédie » pour M. Wara et sa famille.

Mais elle est à son tour mise en cause, priée de présenter des excuses à la troupe de théâtre qu’elle avait accusée de participer au climat délétère « qui fait que c’est de plus en plus difficile d’être politicien ». Car l’affaire ne s’arrête pas là. Début décembre, Laila Bertheussen avait porté plainte contre la compagnie Black Box, dont elle estimait qu’elle avait encouragé les menaces contre le couple. En cause : la vidéo de la maison du ministre, filmée en extérieur sans autorisation, et projetée lors de la représentation d’une pièce de théâtre, Ways of seeing, mise en scène par Pia Maria Roll. Très controversée, l’œuvre, jouée fin novembre à Oslo, voulait exposer la responsabilité de certains acteurs dans la montée du racisme en Norvège. Parmi eux : des élus FrP.

Face aux reproches de la première ministre, Pia Maria Roll s’interrogeait, en début de semaine, sur le timing des attaques, organisées selon elle pour discréditer sa pièce. Pour preuve, expliquait-elle : les lettres envoyées au couple, exigeant qu’il retire sa plainte contre la troupe. « Il y a des erreurs d’orthographe, comme si on voulait montrer que c’était un immigré qui les avait écrites, confiait Pia Maria Rolls. Pour nous, c’est évident que c’est une manipulation. Mais nous ignorons par qui. » Ses doutes semblaient donc bien justifiés.