Chris Cox avait récemment été promu chef de produit, supervisant Facebook, mais aussi Instagram et WhatsApp. Ici, en 2016 à Paris. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le coup est rude. Vendredi 15 mars, Facebook a annoncé le départ de deux cadres importants. D’abord, Chris Cox, 36 ans, qui était un des lieutenants les plus proches du fondateur, Mark Zuckerberg, et parfois même présenté comme son possible successeur. Arrivé chez Facebook il y a treize ans, il en était l’un des quinze premiers ingénieurs. M. Cox avait participé au lancement du « fil d’actualité », devenu le cœur du réacteur du réseau social. Récemment, il avait été promu chef de produit, supervisant Facebook, mais aussi Instagram et WhatsApp, rachetés par le groupe. L’autre dirigeant sur le départ est justement le chef de WhatsApp, Chris Daniels, application sur laquelle M. Zuckerberg fonde pourtant une partie de l’avenir de sa firme.

La perte de ces deux têtes semble liée à des désaccords sur le nouvel axe stratégique de l’entreprise : le rapprochement de WhatsApp, Instagram et Messenger pour lancer une messagerie unifiée et cryptée. Ce nouvel horizon a été officialisé par Mark Zuckerberg, le 3 mars. Selon le New York Times, MM. Cox et Daniels craignaient notamment que cette fusion rende ces plates-formes, très différentes, moins attractives auprès de leurs utilisateurs actuels. Se pose aussi la question de l’autonomie et du modèle économique de ces filiales : les dirigeants de WhatsApp ont toujours été plutôt réticents à partager les données des utilisateurs avec Facebook et à diffuser auprès d’eux des publicités ciblées.

C’est déjà pour ce genre de différend que les fondateurs de WhatsApp ont quitté Facebook en pleine tourmente, mi-2018, non sans dire publiquement leurs griefs et leur attachement à la « vie privée ». En septembre, les créateurs d’Instagram, Kevin Systrom et Mike Krieger, ont à leur tour quitté le groupe, puis l’ex-PDG d’Oculus, Brendan Iribe. Mark Zuckerberg n’arrive pas à garder les brillants entrepreneurs dont il avait racheté les services concurrents.

Cycle noir ouvert fin 2016

Le cycle noir s’est ouvert pour Facebook fin 2016. Les accusations de manipulation lors de l’élection de Donald Trump ont suscité de nombreuses défections. Puis, en 2018, le scandale Cambridge Analytica, du nom du prestataire qui a aspiré les données de plusieurs millions de profils sur le réseau social, a déclenché une vague de départs : le chef de la sécurité, Alex Stamos, le patron de la communication et des affaires publiques depuis dix ans, Elliot Schrage, la directrice de la communication, Rachel Whetstone, ou Dan Rose, un cadre de premier plan dans la partie commerciale présent chez Facebook depuis 2006, ont quitté l’entreprise.

« Qu’on l’aime ou qu’on le déteste », M. Zuckerberg est prêt à pousser sa stratégie, « même face à une contestation extrêmement forte » et « même si cela mène à des départs de cadres extraordinaires qui ne sont pas d’accord », a commenté sur Twitter Ben Horowitz, associé du fonds Andreessen Horowitz, créé avec Marc Andreessen, membre du conseil d’administration de Facebook.

« Même s’il est triste de perdre des personnes aussi valeureuses, cela crée aussi l’opportunité pour de nouveaux grands leaders, motivés par le chemin que nous empruntons, d’endosser des rôles nouveaux et plus importants », a voulu positiver le PDG de Facebook dans un communiqué. M. Zuckerberg a ainsi promu Will Cathcart à la tête de WhatsApp et la Française Fidji Simo à la tête de la plate-forme Facebook.

Une enquête est ouverte

D’autres recrues extérieures ont aussi renforcé les rangs de la société, comme Nick Clegg, l’ancien vice-premier ministre britannique, devenu, fin 2018, directeur de la communication et des affaires publiques de Facebook.

Ces arrivées ne compensent que partiellement l’importance des départs. D’autant que la numéro deux officielle du groupe, Sheryl Sandberg, est fragilisée, car elle est chargée de veiller à l’intégrité de la plate-forme Facebook, un domaine qui concentre les critiques, notamment des pouvoirs publics. Dernier dossier chaud en date : une enquête pénale lancée, jeudi, aux Etats-Unis sur les accès aux données des utilisateurs accordés par Facebook à des entreprises « partenaires » comme Apple, Netflix ou Amazon.

Ces sollicitations répétées des autorités font émerger dans la presse américaine la crainte que les dirigeants restants de Facebook soient de plus en plus victimes d’un syndrome connu : la « distraction ». C’est ce qui serait arrivé à la fin des années 1990 au top management de Microsoft, trop occupé par les procès de droit à la concurrence pour se concentrer sur l’innovation. La légende de la « tech » américaine veut que cela ait favorisé l’émergence de Google… et Facebook.