Michael Woodford, professeur d’économie à l’université Columbia, à New York. / Columbia university

L’ouvrage qu’il a publié en 2003, « Interest and prices », (« Intérêt et prix », Princeton University Press), est l’un des livres de chevet des banquiers centraux. Professeur d’économie à l’université Columbia, à New York, Michael Woodford a reçu, jeudi 14 mars, le prix « Banque de France & Toulouse School of Economics » en économie monétaire. Ses travaux analysent la façon dont les banques centrales communiquent pour orienter leurs politiques monétaires (la « forward guidance » en anglais). Il rappelle que les outils dont elles disposent pour faire face au risque de récession ne sont pas illimités.

Pourquoi, aujourd’hui, les taux d’intérêt sont-ils très bas dans la plupart des pays industrialisés ?

Cela ne s’explique pas seulement par l’action des banques centrales ou par les perspectives de croissance moroses. Cela tient aussi à un changement de comportement des agents économiques. Prenez les Etats-Unis : depuis la crise de 2008, l’appétit des ménages et des entreprises pour le crédit est moins élevé. Ils se montrent plus prudents. Cela se traduit par une baisse du taux d’intérêt dit « d’équilibre », à savoir, celui auquel la demande d’emprunt rencontre l’offre de prêts.

Ces taux bas ne sont-ils pas liés à ce que certains économistes appellent la « stagnation séculaire », à savoir, une croissance durablement faible, notamment à cause du vieillissement démographique ?

Il me semble qu’il est trop tôt pour parler de stagnation séculaire. Il est vrai que la croissance est affaiblie, que des mutations sont à l’œuvre, mais cela ne signifie pas que ces phénomènes sont permanents.

L’économie européenne ralentit alors que les taux directeurs de Banque centrale européenne (BCE) sont toujours au plus bas. Pourra-t-elle les remonter un jour ?

Beaucoup d’observateurs pensaient que les effets de la crise de 2008 s’estomperaient plus rapidement. Et que les banques centrales, qui ont déployé une série d’outils inédits pendant le choc financier puis la récession, normaliseraient leur politique bien plus vite. Ils s’avèrent qu’ils avaient tort. Mais cela ne signifie pas que la BCE ne pourra jamais relever ses taux directeurs. Regardez la Réserve fédérale (Fed), aux Etats-Unis : elle a commencé à le faire.

Ces dix dernières années, les instituts monétaires n’ont eu de cesse de communiquer sur leur stratégie future, ce que l’on appelle la « forward guidance ». Pour quelle raison ?

Avant la crise, l’incidence des décisions des banques centrales portait d’une réunion à l’autre, soit sur un laps de temps très court. Après avoir ramené leurs taux directeurs au plus bas pendant la crise, elles ont dû développer de nouveau outils pour continuer à influencer les taux d’intérêt de long terme dans l’économie, et éviter leur remontée – cela, afin de soutenir le crédit et l’inflation. Voilà pourquoi elles ont commencé à racheter des titres de dettes, mais aussi, à utiliser la « forward guidance » : en donnant des indications sur l’évolution probable de leur politique monétaire, elles influencent les anticipations des investisseurs et les taux sur un horizon de temps bien plus long, jusqu’à un ou deux ans.

Que pourraient faire les banquiers centraux si le ralentissement actuel dégénérait en récession ?

Ils ont encore un peu de marges de manœuvre, mais elles sont limitées. Surtout : l’idée que les banques centrales sont en mesure de résoudre tous les maux de l’économie est une erreur. Elles ne sont pas toutes puissantes. Prenez la baisse des taux d’intérêt : cela permet de relancer le crédit. Mais à un certain point, cela peut aussi fragiliser les banques et donc, dégrader la transmission de la politique monétaire à l’économie. Il ne faut pas oublier que les politiques budgétaires sont également un outil efficace pour stabiliser l’activité.

Quels défis ces institutions devront-elles relever dans les années à venir ?

Ils sont nombreux. Pendant la crise de 2008, elles se sont montrées très créatives et agressives pour soutenir l’inflation. Elles ont élargi leur pouvoir et sont entrées au centre des attentions, si bien que les gouvernements s’interrogent bien plus qu’avant sur leur action. En conséquence, elles seront de plus en plus confrontées aux pressions de la sphère politique au cours des années à venir. C’est l’un des grands défis qu’elles devront relever.