Damas, le 16 juillet 2018. / Hassan Ammar / AP

Une conférence pour la Syrie organisée à Bruxelles au cours des derniers jours a permis, jeudi 14 mars, de rassembler près de 7 milliards de dollars (6,19 milliards d’euros), promesses de dons pour l’aide aux réfugiés. Avant la conférence, l’Organisation des Nations unies (ONU) avait fixé la barre plus haut : 5,5 milliards de dollars pour l’aide aux 5,6 millions de Syriens exilés dans les pays voisins ; 3,3 milliards pour les 6,2 millions de déplacés dans le pays, dont 83 % sont en situation d’« extrême pauvreté », selon l’ONU.

Le secrétaire général adjoint de l’organisation, Mark Lowcock, s’est toutefois dit « ravi » après trois jours de discussions durant lesquels ont aussi été abordés les thèmes de la reconstruction et du rôle de la société civile – et des femmes en particulier.

Si l’Union européenne a alloué 2 milliards d’euros, la plus importante contribution nationale viendra de l’Allemagne avec 1,44 milliard d’euros. La France annonce 1,1 milliard sur deux ans, le Royaume-Uni, 464 millions ; les Etats-Unis, 350 millions. La leçon des épisodes antérieurs incite toutefois à la prudence : sur 3,4 milliards de dollars annoncés en 2018 pour l’aide au pays, 65 % seulement ont été reçus. Et le plan pour les réfugiés (5,6 milliards de dollars) ne s’est vu octroyer que 62 % de ce montant.

La question du retour des réfugiés reste taboue

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ne voulait pas résumer ces trois journées à une collecte de fonds. La conférence était donc aussi conçue comme un « signal », un nouvel élan au processus de paix onusien. Il reste que la discussion des problèmes politiques s’est avérée « non conclusive ».

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, à Bruxelles, le 18 février. / Francisco Seco / AP

C’est le cas pour la difficile question du retour des réfugiés, qui n’a certainement pas été mise en avant : elle divise et reste, pour beaucoup, taboue. Les représentants des pays d’accueil tenaient d’ailleurs, en coulisses, des propos parfois contradictoires : « Il faut progressivement les amener à rentrer, mais on ne peut ignorer qu’ils risquent encore des persécutions », indique anonymement un diplomate arabe. Qui ne cache pas, par ailleurs, que son pays entend continuer à bénéficier de l’aide internationale.

Le HCR, de son côté, martèle qu’un retour forcé violerait le droit international, sans toutefois évoquer clairement la responsabilité des pays d’accueil. Des chercheurs s’interrogeaient en tout cas plus ouvertement sur le caractère « volontaire » de certains départs du Liban et d’autres pays.

Craintes d’un détournement de l’aide internationale

Les aides, souvent minimes, versées par certains pays occidentaux – dont l’Allemagne – à ceux qui décident de regagner leur pays sont un autre sujet de polémique, des experts soulignant que la situation en Syrie reste beaucoup trop dangereuse, exposant ceux qui rentrent à des détentions, voire des disparitions – des centaines de cas sont déjà recensés. « Damas juge que le fait même d’avoir quitté le pays est suspect », a souligné une femme syrienne.

Enfin, les craintes que l’aide internationale ne soit détournée vers des régions fidèles au régime ne sont visiblement pas levées. Un diplomate européen a confié à l’AFP qu’il était « fondamental » qu’elle soit dirigée vers les régions libérées de l’emprise de l’Etat Islamique par les Forces démocratiques syriennes et les Kurdes. Rien ne semble garantir qu’il en soit ainsi, ce qui laisse les Européens dans le doute : ces régions ne seront-elles pas tentées de pactiser avec le régime pour se protéger des menaces turques ?

La question de la « transition politique » voulue par les Européens reste, elle aussi, en suspens. Elle divise l’UE entre ceux (l’Italie et la Pologne) qui évoquent un rôle possible pour Bachar Al-Assad et d’autres (la France et l’Allemagne notamment) qui refusent toute allusion à son maintien. Pas question, en tout cas, d’évoquer la reconstruction du pays sans « un processus de paix crédible, à Genève, sous les auspices de l’ONU », dit Mme Mogherini.

Lutte contre l’impunité des crimes commis

Elle résume, ainsi, la ligne officielle des Vingt-Huit, une série de pays membres – la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique le Danemark – fixant désormais une autre condition : la lutte contre l’impunité des crimes commis durant huit années de guerre. Les autres ? Ils se veulent plus « prudents » mais ne contestent pas – ou pas encore – cette ligne.

Plusieurs ONG objectent quant à elles que, même si elle compréhensible, cette position européenne complique la possibilité d’aider véritablement des Syriens épuisés, vivant dans des régions dévastées par le conflit. Parmi eux, deux millions d’enfants privés d’école.

Des enfants syriens dans le camp de réfugiés de Bar Elias, dans la vallée de la Bekaa, au Liban, le 12 mars. / Bilal Hussein / AP

Un responsable européen de haut rang confirme cependant que la position des Vingt-Huit reste claire : « L’UE ne financera pas la reconstruction et n’amorcera aucune normalisation tant que le régime ne s’engagera pas dans un vrai processus politique, sur la base de la résolution 2254 des Nations unies. Il y a des voix divergentes, mais la position européenne ne variera pas, d’autant que des pays arabes s’opposent, eux aussi, à toute normalisation. »

Bruxelles maintiendra aussi son régime de sanctions, qui vise actuellement 277 personnalités syriennes et 72 « entités » (banques, services de sécurité, médias, entreprises).