Un manifestant palestinien à Gaza lors d’affrontements à la frontière avec les forces israéliennes, le 8 mars. / MAHMUD HAMS / AFP

Pour la première fois depuis l’été 2014, les habitants de Tel Aviv ont dû, dans un laps de temps court, courir vers les abris, jeudi 14 mars. Peu après 21 heures, les sirènes d’alerte ont retenti après les tirs de deux roquettes de longue portée en provenance de la bande de Gaza vers la métropole. Elles n’ont pas été interceptées par le système de défense Dôme de fer, mais aucune victime ni dégât n’ont été constatés, selon l’armée. La cible choisie, faite pour marquer l’opinion publique, a provoqué la stupeur côté israélien. Benyamin Nétanyahou, qui cumule les fonctions de premier ministre et ministre de la défense, a immédiatement organisé une réunion de crise avec l’état-major pour envisager la riposte. Elle doit être « significative et d’ampleur », a demandé Benny Gantz, son principal rival dans la campagne électorale, à la tête de la liste Bleu et Blanc.

La confusion régnait jeudi soir sur les auteurs précis de ces deux tirs, qui interviennent à moins d’un mois du scrutin législatif du 9 avril. En cette période sensible, les factions palestiniennes estiment que Benyamin Nétanyahou refusera de s’engager dans une aventure militaire imprévisible. Mais le Hamas, maître de Gaza depuis 2007, espère toujours des mesures de soulagement socio-économiques pour le territoire palestinien à l’agonie. Il n’aurait pas d’intérêt non plus à une escalade importante à cette heure. Les regards se portent ensuite sur la deuxième faction armée, le Jihad islamique palestinien. Mais celui-ci a démenti dans un communiqué. Les militants armés salafistes ont été régulièrement accusés, dans le passé, d’être responsables de tirs de roquette isolés. Mais on ne sait si elles disposent de projectiles d’une telle portée.

L’Iran en embuscade

« Nous sommes dans un processus, via les Egyptiens, avec le Hamas et il est dans l’intérêt de l’Iran que cela n’aboutisse pas », expliquait jeudi soir, lors d’une conférence téléphonique, Yaakov Amidror, ancien conseiller pour la sécurité nationale de M. Nétanyahou. Une façon implicite de désigner le Jihad islamique, voire un groupe de taille moindre mais plus radical d’approche. Fin février, la police du Hamas a ainsi procédé à l’arrestation du chef local du groupuscule chiite Harakat al-Sabireen, proche du Hezbollah libanais et de l’Iran. Le département d’Etat américain l’a placé sur la liste des organisations terroristes en janvier 2018.

Le 10 mars, à l’occasion du conseil des ministres, Benyamin Nétanyahou avait évoqué les « provocations » récentes en provenance de Gaza. « Cela a été le fait de dissidents, mais ça n’absout pas le Hamas, a-t-il dit. Le Hamas est responsable de tout ce qui sort de la bande de Gaza, et nous répondons conformément à cela, avec des attaques des forces aériennes contre des cibles du Hamas. » Le premier ministre a ajouté que le mouvement islamiste armé ferait mieux de « ne pas compter » sur une retenue militaire israélienne en période électorale. Engagé dans une campagne compliquée afin d’obtenir un cinquième mandat malgré la procédure d’inculpation pour corruption initiée contre lui, Benyamin Nétanyahou souhaitait que la bande de Gaza reste en dehors des débats. Mais le marasme gazaoui a ses propres dynamiques complexes.

Exaspération populaire

Depuis le début des manifestations de la « marche du retour », le 30 mars 2018, 193 Palestiniens ont été tués et plus de 26 000 blessés, dont plus de 6 000 par balles, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU. Depuis la mi-février, il y a eu une augmentation des incidents nocturnes à la clôture frontalière, avec des pneus brûlés et des jets d’objets incendiaires en direction des soldats israéliens. Les forces du Hamas ont repris le contrôle du passage de Kerem Shalom vers Israël, le 17 février, après le retrait des effectifs de l’Autorité palestinienne, décidée par Mahmoud Abbas. La réconciliation entre factions est au point mort, malgré la bonne volonté égyptienne. Une délégation du renseignement égyptien a dû quitter en catastrophe la bande de Gaza, jeudi soir, anticipant la réplique militaire israélienne.

Dans le territoire sous blocus, l’exaspération populaire ne peut être calmée par les injections d’argent, chaque mois, par le Qatar, qui représentent une forme de mendicité, et non une solution. Le Qatar a fait parvenir 45 millions de dollars (39,5 millions d’euros) depuis novembre 2018 sous la forme d’aide aux plus démunis et aux employés. L’émirat a consenti un effort supplémentaire de 20 millions de dollars, pour financer un programme de création d’emploi (10 000 postes temporaires) de l’ONU. La Banque mondiale a lancé un programme similaire, pour un montant de 17 millions de dollars. Mais les besoins sont d’une toute autre ampleur. Or les projets d’investissement dans les infrastructures (énergie, eau, etc.), évoqués de façon indirecte entre le Hamas et Israël en échange du calme frontalier, sont au point mort en période électorale, souligne une source diplomatique.

Le Hamas dos au mur

Le Hamas se retrouve dos au mur, face au mécontentement populaire. Dans la journée de jeudi, ses forces de l’ordre ont réprimé des centaines de manifestants qui protestaient contre le coût de la vie dans trois lieux du territoire, à Deir el-Balah, dans le camp de Bourej et celui de Jabalia. Plusieurs jeunes non affiliés, qui avaient appelé à ces rassemblements, avaient été arrêtés avant leur tenue. Les vidéos de ces protestations ont été abondamment relayées sur les réseaux sociaux israéliens, quitte à grossir leur importance. Le Hamas conserve un maillage répressif tel qu’un mouvement d’ampleur contre lui semble douteux dans l’immédiat.

Au cours de son dernier rapport présenté le 20 février devant le Conseil de sécurité, le représentant spécial de l’ONU pour le processus de paix, Nikolaï Mladenov, présentait un tableau dramatique de la situation. « Le contrôle continu du Hamas sur Gaza, les restrictions israéliennes sévères sur les mouvements et les mesures restrictives de l’Autorité palestinienne poussent la situation jusqu’à un point de rupture, a-t-il dit. La montée en puissance militaire se poursuit au risque que des groupes de plus en plus radicaux et extrémistes poussent les deux parties à la guerre, et ce risque augmente chaque jour. »