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Dans la salle polyvalente du lycée professionnel Paul-Langevin, à Sainte-Média d’appel Geneviève-des-Bois (Essonne), les longs rideaux rouges tirés ont éclipsé la lumière du jour. Une bonne vingtaine d’élèves volontaires sont venus assister, ce 15 mars, à la projection du documentaire sur le changement climatique Histoires de climat – initiative mise en place par l’établissement dans le cadre de la journée mondiale pour le climat. Mais qui répond surtout à l’annonce furtive du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, de débats sur ce thème dans tous les lycées de France.

La pièce est loin d’être pleine et la plupart des chaises du premier rang n’ont pas trouvé preneur. Il y a surtout des filles : une classe entière de première ARC (accueil-relation clients). Elles ont été encouragées à venir par leur professeure de vente, Mme Schmidt, qui anime le débat à l’issue de la séance. Et quelques garçons. Trois d’entre eux, exubérants et la voix qui porte un peu trop, sont plusieurs fois rappelés à l’ordre par Mme Cebrah, professeure de PSE (prévention santé-environnement), qui supervise aussi cette journée.

Un bruit de fond parcourt la salle. De temps à autre, des rires espiègles sont réprimandés par l’une des deux professeures. Si une minorité semble concentrée et absorbée, les autres sont distraits. Certains bavardent. D’autres sont plongés dans leur téléphone. Il y en a même qui, à quelques minutes du terme du documentaire, feignent de dormir.

Fin de la projection, les lumières se rallument. Des soupirs se font entendre. « Qu’est-ce que vous en avez pensé ? Quelle situation vous a interpellés ? », interroge Mme Schmidt. Pas de réponse. Lorsqu’elle demande s’il y a une ou un volontaire pour prendre la parole, à nouveau des rires. « Certains m’ont dit au début : “On s’en fiche [des conséquences du réchauffement climatique] car on ne sera plus là”», lance-t-elle en tentant de les faire réagir. Elle a touché la corde sensible. « Pourquoi devrions-nous être intéressés ? On ne va pas payer pour ce que les autres ont fait auparavant », martèle une jeune fille sur un ton défaitiste.

« Changer la donne »

Beaucoup ne se sentent pas concernés. Ils avouent, pour une grande majorité, ne pas avoir été sensibilisés à ces enjeux. Sont-ils évoqués « à la maison » ? Un « non » unanime envahit la salle. « C’est là que le rôle de l’éducation nationale prend tout son sens », souffle Johan Desportes de La Fosse, un membre de la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDN) de l’Essonne, venu suivre le débat.

« Très peu de nos lycéens sont au courant de la marche [pour le climat] qui se tient aujourd’hui », explique M. Bailleul, proviseur adjoint. A quoi sert-il de manifester, se demande une élève ? « A faire avancer les choses », lui rappelle Mme Schmidt. Elle persiste et signe, obtenant l’attention de son auditoire. « Quelles sont les actions individuelles pour faire face au changement climatique et changer la donne ? Qu’est-ce qui pollue ? », poursuit-elle. Quelques propositions émergent timidement : le tri des déchets, la réduction du gaspillage alimentaire, l’utilisation moins fréquente de la voiture.

Le matin même, la projection du film Demain avait suscité plus d’intérêt. Une quarantaine de volontaires étaient présents. « Il y a eu un peu plus d’échanges que cet après-midi mais on reste tout de même sur quelque chose d’un peu passif », précise M. Bailleul. « Il est assez difficile de mobiliser nos élèves. C’est un public qui n’a pas l’habitude de se confronter à ces questions », complète Mme Le Donge, la proviseure, en évoquant les « origines sociales » de ses élèves, dont une partie sont en « grande difficulté financière ». Sur près de 700 élèves, plus de la moitié sont boursiers.

Difficile également de mobiliser un grand nombre d’élèves quand ils ne sont prévenus que la veille des modules spéciaux mis en place pour cette journée particulière. « C’est dommage », déplore Mme Schmidt. L’annonce subite de Jean-Michel Blanquer, le 11 mars, n’a pas donné une grande marge de manoeuvre pour les lycées. « Nous n’aurions pas pu mettre en place ces débats si nous nous étions calés, de 16 à 18 heures, sur les préconisations du ministre de l’éducation. Déjà qu’il n’y a plus énormément monde le vendredi après-midi chez nous... », note Mme Le Donge.

« Que faire pour empirer le réchauffement ? »

Au lycée Paul-Langevin, on loue cependant le travail réalisé par Mme Petit, jeune enseignante de français et d’histoire-géographie sensible aux problématiques environnementales. Tout au long de la journée – et sur son temps libre –, elle est intervenue pendant près d’une heure dans six classes différentes pour mettre en oeuvre des ateliers-débats.

Vers 16 heures, les jeunes filles en première ARC participent au dernier atelier de la journée. Par une sorte d’apprentissage inversé, elles débattent d’abord de la question : « Que faut-il faire pour empirer le changement climatique et ses conséquences ? » Manière de les faire réagir. Puis se mettent par groupe de quatre, chaque groupe inscrivant sur une grande feuille les solutions pour lutter contre le réchauffement climatique au travers d’une thématique – énergie, alimentation, citoyenneté et solidarité, consommation.

Le dispositif ludique favorise les échanges et encourage à la créativité. « L’assimilation est beaucoup plus efficace si elles discutent entre elles », affirme Mme Petit. A quelques minutes de la fin, l’une confie, tout sourire, avoir « beaucoup appris aujourd’hui ». Même s’ils ne se sentent pas forcément concernés, « presque tous les élèves ont joué le jeu », se félicite Mme Petit. Et de conclure : « On sème les graines pour l’avenir ».