Arte, mardi 19 mars à 20 h 55, documentaire

Si les antibiotiques ont révolutionné la médecine et sauvé des millions de vies en luttant contre les maladies infectieuses, leur utilisation excessive les a rendus au fil du temps moins efficaces. Au point que la résistance à ces médicaments représente aujourd’hui un grave danger sanitaire.

En mai 2016, l’économiste Lord Jim O’Neill, alors secrétaire d’Etat britannique au commerce, tirait la sonnette d’alarme dans un rapport très remarqué. Si aucune ­mesure d’envergure n’était prise, disait-il, le nombre des décès liés à la résistance aux antibiotiques pourrait atteindre 10 millions par an dans le monde d’ici à 2050. S’y ajouterait un coût de 100 000 milliards de dollars (88 400 milliards d’euros) en termes de perte de production mondiale, soit plus que le produit intérieur brut mondial.

C’est par ces prédictions glaçantes que le réalisateur Michael Wech ouvre son film. Didactique, son documentaire rappelle que les antibiotiques sont apparus avec la pénicilline, découverte en 1928 par l’Ecossais Alexander Fleming, qui dès 1943, pointa du doigt le développement de résistances découlant de l’utilisation excessive de ce médicament. La mise en garde ne fut pas entendue.

Pendant plusieurs décennies, les médecins du monde entier s’en sont remis à ces molécules pour traiter des affections jusqu’à présent incurables, à l’instar du docteur David Cromwell qui, pendant la guerre du Vietnam, a traité ainsi les soldats souffrant de blennorragie. Sans se douter que cette maladie sexuellement transmissible, que les soldats américains contractaient majoritairement au contact de prostituées, deviendrait un jour « plus difficile, voire parfois impossible » à traiter du fait de la résistance aux antibiotiques.

Mauvaises pratiques

Le film montre que ce phénomène a été amplifié par de mauvaises pratiques, notamment dans le secteur de l’élevage intensif. Très utilisés par les agriculteurs industriels pour accélérer la croissance des animaux, les antibiotiques finissent par se retrouver dans l’assiette du consommateur, puis dans leur organisme, ce qui contribue à renforcer la résistance des bactéries.

La découverte du phénomène n’est pas nouvelle : dès 1976, le gouvernement de Jimmy Carter proposait de réguler l’usage des antibiotiques dans l’agriculture. Sans succès, les membres du Congrès, financés par les lobbies de l’agroalimentaire, s’opposant fermement à toute mesure de ce genre. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, 80 % de la production d’antibiotiques – les mêmes que ceux administrés aux humains – est destinée à l’élevage.

La situation n’est guère plus encourageante ailleurs : en Allemagne, trois des huit antibiotiques « de dernier recours », théoriquement réservés à la médecine humaine, sont déjà utilisés dans l’élevage ; au Bangladesh et en Inde, de nouveaux types de résistance les rendent totalement inopérants.

Les interventions convaincantes de microbiologistes de renom, mais également de patients, donnent à voir l’étendue de cette crise mondiale des antibiotiques. Si les Nations unies ainsi que certains Etats, dont la Chine, ont pris la mesure de l’urgence de la situation, celle-ci est aggravée par la réduction des efforts de recherche consacrés à de nouveaux antibiotiques par l’industrie pharmaceutique, qui a préféré se tourner vers d’autres secteurs plus prometteurs : le dernier antibiotique a été lancé sur le marché en 1984.

« Antibiotiques, la fin du miracle ? », de Michael Wech (Allemagne, 2018, 1 h 40 min) Arte.tv/antibiotiques-la-fin-du-miracle/