Deux jours après l’acte XVIII des « gilets jaunes », samedi 16 mars, l’avenue des Champs-Elysées porte encore les traces du passage des casseurs. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Une odeur âcre de métal brûlé s’échappe du haut de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris. Au surlendemain du dix-huitième acte des « gilets jaunes », lundi 18 mars, touristes et curieux photographient avec leur smartphone ce qui reste d’un kiosque à journaux : un local calciné barré d’un ruban de signalisation.

A quelques mètres de là, un attroupement se forme. Le ton monte entre deux hommes. Figure du mouvement des « gilets jaunes », Jérôme Rodrigues échange des mots avec un passant excédé par ces mobilisations à répétition. « Ne voyez-vous pas que ces violences sont un effet de loupe trompeur ? », s’agace le militant éborgné lors de l’acte XI de la mobilisation à Paris. Et de poursuivre : « Je ne me réjouis pas des dégâts matériels, mais que représentent-ils à côté de la violence physique ? », interroge-t-il à la cantonade, en abaissant ses lunettes et dévoilant son œil mutilé.

« C’est n’importe quoi, peste Dominique. Parce que vous croyez que les petites mains qui triment dans les kiosques ou au Fouquet’s roulent sur l’or ? Eh bien là, techniquement, votre mouvement les a foutus au chômage », rétorque le retraité. Une affirmation que récuse Jérôme Rodrigues : « Je suis évidemment solidaire de toutes ces victimes collatérales. Mais je regrette, c’est à Macron qu’incombent ces débordements. »

« La tristesse, c’est la seule émotion que m’inspire ce gâchis »

Deux jours après l’acte XVIII des « gilets jaunes », l’avenue des Champs-Elysées porte encore les traces du passage des casseurs. Installé en face du Fouquet’s, le kiosque de Sami est l’un des seuls de l’avenue à avoir été épargné par les flammes. L’établissement a néanmoins subi d’importants dégâts : tableaux d’affichage brisés, tags, etc. « La tristesse, c’est la seule émotion que m’inspire ce gâchis », se désole Sami. Désormais, c’est vers les assurances qu’il doit se tourner. « J’ai entamé les démarches, mais il faut compter au moins soixante jours avant un retour », dit-il dans un soupir.

« Depuis les dégâts de novembre, nous n’avons pas touché un centime de l’assurance »

Directeur d’exploitation du Bistro 25, au bas de l’avenue, Anthony Sebag peine, lui, à contenir sa colère : « Depuis les dégâts de novembre [2018], nous n’avons pas touché un centime de l’assurance, qui se défausse sur la préfecture de police. » L’établissement, qui a enregistré une baisse du chiffre d’affaires de 50 % a donc fait une demande de report de cotisations sociales auprès de l’Urssaf. « Pour l’heure, nous n’avons pas obtenu de réponses », se désole Anthony Sebag.

Un désespoir partagé par Emilie Auvray, directrice de L’Appartement français, un concept store consacré au made in France, installé dans une galerie de l’avenue. C’est un samedi extrêmement « anxiogène » dont elle fait le récit : « Nous avons été évacués de la galerie par les forces de l’ordre au milieu des gaz lacrymogènes. Certains manifestants tentaient de forcer l’entrée. » Un salarié d’un grand groupe de prêt-à-porter décrit, lui aussi, un samedi chaotique : « Nous prenions notre pause quand un petit groupe d’individus est venu nous intimider. Ils nous ont insultés de bouffons du capital parce que nous acceptions de travailler pour un salaire de misère. »

Un dispositif de sécurité mis en cause

Le récit croisé des commerçants pointe également certaines incohérences du système de sécurité. D’aucuns, à l’instar d’Anthony Sebag, s’étonnent de n’avoir reçu aucune information de la préfecture, la veille des débordements, tandis que d’autres affirment être systématiquement informés par courriel depuis le début du mouvement : « J’ignore pourquoi nos voisins n’ont pas été prévenus. De notre côté, nous recevons chaque semaine des informations précises de la préfecture de police », explique le responsable de la pizzeria Café di Roma.

« Tantôt nous sommes fouillés… tantôt nous ne le sommes pas »

D’autres fois, c’est la nature du dispositif de sécurité qui est en cause. La directrice d’une bijouterie de luxe s’étonne ainsi d’avoir pu accéder à son lieu de travail sans contrôle renforcé : « Je ne comprends pas cette sécurité aléatoire. Tantôt nous sommes fouillés au millimètre, tantôt, comme samedi, nous ne le sommes pas du tout. »

Entre une baisse significative de la fréquentation et des travaux de réparation dont il faut supporter les coûts avant un hypothétique remboursement, les commerçants de l’avenue payent un lourd tribut. Certains n’ont d’autre choix que de licencier : « Cela me crève le cœur, mais j’ai été contraint de mettre au chômage six salariés », témoigne Emilie Auvray, navrée. Ce qu’envisage à regret cet autre restaurateur indépendant : « Sauf à ce que l’Etat nous aide à supporter les pertes d’exploitation, nous serons contraints de réduire la masse salariale. »

Lundi, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a affirmé que tout était mis en œuvre pour accompagner les entreprises fragilisées par ce mouvement social. Solliciter une « annulation » des impôts directs, demander des autorisations d’activités partielles ou un rééchelonnement des cotisations sociales et fiscales, tels sont les principaux dispositifs ouverts aux commerçants. Des mesures insuffisantes pour certains. « C’est en amont qu’il fallait intervenir, pas après le passage de l’ouragan », fulmine Jonathan Sebag.

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