A l’automne, Google avait dévoilé Project Stream, son prototype de service de jeu vidéo à la demande. L’entreprise doit désormais présenter ses plans pour le grand public. / Google

Il y a comme un petit air de 1991. Il y a près de trente ans, l’industrie du jeu vidéo connaissait un premier séisme avec l’arrivée de Mitsubishi et surtout Sony, deux géants de l’électronique grand public, dans un secteur alors réservé aux fabricants de jouets. Aujourd’hui, c’est un autre type d’ogre qui doit annoncer son arrivée sur le marché : le célèbre moteur de recherche devenu pieuvre du Web, Google. La firme de Mountain View doit en effet tenir une conférence mardi 19 mars à 18 heures (heure française) depuis la Game Developers Conference (GDC), le salon annuel des professionnels du jeu vidéo, à San Francisco en Californie.

Google GDC 2019 Gaming Announcement

C’est peu dire qu’il y a de la fébrilité dans l’air. Le souhait de Google de s’immiscer dans ce secteur très lucratif est un secret de polichinelle depuis deux ans, mais c’est la première fois que l’entreprise dévoilera concrètement « sa vision de l’avenir du jeu vidéo », comme elle l’appelle. Plus concrètement, les observateurs attendent des détails concrets sur le service, sur l’offre, le calendrier, le catalogue, et l’éventuel matériel associé, type boîtier de streaming ou manette.

Le streaming en pôle

A quoi s’attendre exactement ? Comme le révélait The Information en 2018, il ne fait aucun doute que la compagnie derrière Chrome et Chromecast misera sur la technologie du « cloud gaming », le jeu vidéo en nuage. La technologie n’est pas nouvelle : à la manière de Spotify ou Netflix, les produits sont lus à distance depuis des serveurs jusqu’à l’usager, qui peut profiter du son et de l’image où il le souhaite, quand il le souhaite, sans matériel requis. Plusieurs sociétés ont déjà tenté de proposer des solutions de ce type, comme les Américains Nvidia et Shadow ou le Français Blacknut, mais sans parvenir à toucher le grand public, à l’inverse du service PlayStation Now de Sony.

Google a déjà dessiné les grandes lignes de sa technologie à l’automne 2018 avec la mise en ligne d’une version d’essai de Project Stream, un service de streaming qui permettait notamment de jouer au très impressionnant Assassin’s Creed Odyssey dans Chrome, sans console ni carte graphique, juste par la magie du jeu en nuage. Une manière également pour l’entreprise de montrer ses vues sur le marché du jeu vidéo à grand spectacle, traditionnel apanage des consoles et de l’ordinateur, plutôt que sur le seul jeu mobile, dont elle est déjà une distributrice majeure via Google Play.

Google construit un catalogue

Pour cela, la firme de Mountain View va devoir s’acheter une légitimité, et celle-ci passe par des personnalités expérimentées et un catalogue coup de poing. C’est tout l’enjeu de cette présentation à la GDC. Depuis l’embauche en début d’année 2018 de Phil Harrisson, vétéran de Sony, Microsoft, et surtout Gaikai, pionnier du cloud gaming, Google semble vouloir constituer les « Avengers du jeu vidéo ». La semaine passée, la productrice et cheffe de studio Jade Raymond (The Sims Online, Assassin’s Creed, Star Wars) annonçait avoir rejoint le géant du Web en qualité de directrice, sans préciser sa fonction exacte. A l’été 2018, Kotaku évoquait la création d’une division de jeu vidéo en interne, sur le modèle de Sony, Microsoft ou Nintendo.

Sur scène à San Francisco, d’autres noms connus du milieu seront là pour donner du poids au discours de Google. Ont d’ores et déjà été annoncés le géant français Ubisoft (Assassin’s Creed, Far Cry, The Division), les studios californiens Crystal Dynamics (la dernière trilogie Tomb Raider) et texan ID Software (DOOM, Duke Nukem), ou encore les Amy Hennig, scénariste des trois premiers Uncharted et Raph Koster, théoricien et game designer de Ultima Online.

Ce ne devrait être que la partie émergée de l’iceberg. Selon les informations du Monde, depuis un an, la firme de Mountain View a sorti le chéquier pour s’attacher le soutien de producteurs de jeux de toutes tailles. Google a ainsi déjà approché plusieurs studios français, comme Quantic Dream (Heavy Rain, Detroit : Become Human), dont le contrat avec Sony n’a pas été renouvelé. Et son objectif affiché à la GDC sera de séduire de nombreux producteurs à haut potentiel. Google ne s’en cache pas : « Nous cherchons les meilleurs jeux indés », alors que la société de jeu vidéo Epic Games (Epic Games Store, Fortnite) est elle-même en phase d’acquisition de catalogue.

Des faux pas à éviter

Il s’agit là de l’un des grands points d’interrogation : la société à l’origine du célèbre moteur de recherche réussira-t-elle à se constituer une ludothèque compétitive ? Faire venir les plus grands éditeurs ne sera pas suffisant si leurs titres sont déjà présents sur les plates-formes concurrentes, comme c’est déjà le cas pour tous les jeux Ubisoft, Crystal Dynamics et ID Software.

Du reste, Google doit également éviter de tomber dans le travers de Microsoft quand la firme de Redmond s’était lancée dans le jeu vidéo au début des années 2000 : un catalogue trop tourné vers le public américain. Dénuée de jeux d’éditeurs japonais, la console avait laissé indifférent en Asie, et dans une moindre mesure en Europe.

Avec Chromecast, Google avait déjà fabriqué un premier objet physique permettant de streamer - en l’occurence, de la vidéo - vers un téléviseur. / Google

Enfin, quid du form factor, de l’objet qui pourrait être associé à l’offre de Google ? Avec Project Streaming, l’entreprise avait fait dans le tout dématérialisé. Mais le monde du jeu vidéo reste très attaché aux objets – consoles, manettes, boîtiers – qui sont autant des interfaces nécessaires que des vecteurs d’identification à une marque, à une philosophie de jeu. Les médias américains The Verge et Kotaku s’accordent dessus, il y a bien une part de produit physique dans le projet de Google. Nokia s’en souvient encore, avec son téléphone-console à l’ergonomie absurde : le design d’une plate-forme de jeu vidéo peut suffire à faire le succès comme l’échec d’un projet.