Le vice-premier ministre  et ministre des affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra (à gauche), a rencontré son homologue russe, Sergueï Lavrov, à Moscou, mardi 19 mars. / ALEXANDER NEMENOV / AFP

En quête de soutiens internationaux après le report, sous la pression de la rue, de l’élection présidentielle en Algérie, Ramtane Lamamra, promu vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, s’est arrêté à Moscou. Une étape jugée indispensable avant de poursuivre vers la Chine. « Je tiens à vous assurer que ce qui se passe actuellement en Algérie est une affaire purement interne… », a d’emblée déclaré l’envoyé spécial d’Alger mardi 19 mars, face à son homologue russe, Sergueï Lavrov. « Nous sommes catégoriquement opposés à toute ingérence, et nous sommes sûrs que, sur la base de la Constitution algérienne, le peuple et les dirigeants algériens vont résoudre tous les problèmes », lui a répondu son hôte.

Porteur d’une lettre d’Abdelaziz Bouteflika à Vladimir Poutine, dont il n’a pas révélé le contenu, M. Lamamra a dit espérer une « coopération beaucoup plus forte » dans le domaine économique notamment, avec la Russie. « J’ai raconté par quel stade historique passe l’Algérie » en ce moment, a-t-il déclaré en décrivant « une étape spéciale » prise « à l’initiative de la jeunesse algérienne ».

Approfondir la « coordination » des deux pays

« L’Etat a réagi rapidement », a poursuivi le diplomate, avant d’évoquer « une nouvelle Constitution », adoptée « par consensus » à l’issue d’une prochaine conférence nationale « transparente et ouverte ». L’élection présidentielle aura alors lieu, a-t-il encore promis, car « pour la première fois dans l’histoire du pays, tous ceux qui le voudront pourront y participer ». Selon M. Lamamra, qui occupait déjà la fonction de ministre des affaires étrangères entre 2013 et 2017 avant de devenir conseiller diplomatique du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika est prêt « à rendre le pourvoir » à un nouveau président élu. Aucune date de scrutin n’a cependant été avancée.

Rien à voir, donc, avec « le printemps arabe, qui était une ingérence grossière dans les affaires internes de pays souverains », s’est empressé de trancher son interlocuteur, en insistant sur la nécessité d’approfondir « la coordination » des deux pays sur le plan international qui a fait l’objet d’un rapide tour d’horizon. Là n’était pas l’essentiel.

La Russie espérait bien « obtenir des informations de première main (…) sur la situation de l’Algérie amie », comme le rappelait, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, avant la rencontre. Les visions de chacun des deux pays sur la plupart des questions internationales et régionales « coïncident », ajoutait-elle, « dans leur engagement en faveur d’un règlement pacifique des conflits, et la non-ingérence dans les affaires des autres états ».

Les Russes ignorent tout de la situation en Algérie

Les Russes ignorent cependant à peu près tout de ce qui se passe chez « l’amie ». La première chaîne publique, Perviy Kanal, n’a diffusé aucune information, ni même une image du mouvement de protestation massif qui a poussé depuis le 22 février des dizaines de milliers d’Algériens à descendre dans la rue pour s’opposer à un 5e mandat du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans et gravement diminué par la maladie. Même chose sur Rossia1, autre canal appartenant à l’Etat.

Seule, Rossia24, la chaîne d’information en continu, a rendu compte des événements en privilégiant les portraits du chef de l’Etat algérien, qui a de facto prolongé son mandat après le report de l’élection, et en limitant à quarante secondes la diffusion d’une vidéo sur les protestataires. Mardi, à l’issue de la rencontre entre M. Lamamra et M. Lavrov, les médias russes ont posé des questions sur… le Kovoso et le Venezuela.

Ce silence assourdissant se distingue crûment de la large couverture consacrée en Russie aux manifestations des « gilets jaunes » à Paris ou aux événements à Caracas. Parvenu au pouvoir en 2000, quasi en même temps qu’Abdelaziz Bouteflika, Vladimir Poutine observe un silence prudent sur la situation d’un allié historique, mais l’écho renvoyé par Alger inquiète le Kremlin.

L’Algérie reste le troisième importateur d’armes russes

Malgré une contraction de ses dépenses constatée pour la première fois depuis une décennie en 2017, l’Algérie reste le troisième importateur d’armes russes, selon le dernier rapport publié en mars 2019 de l’Institut de recherche sur la paix internationale (Sipri) sis à Stockholm. C’est aussi un partenaire fiable, ou du moins considéré jusqu’ici comme stable, dans une région, l’Afrique du Nord, qui a connu plusieurs changements brutaux de régime.

Les liens avaient été noués du temps de l’URSS, l’un des premiers pays à reconnaître l’indépendance de l’Algérie. Entre 1962 et 1991, 10 000 militaires et instructeurs russes ont été envoyés sur place, « peut-être plus », rapportait Vladimir Kochelev, un colonel de réserve et ex-agent du GRU, les services de renseignement militaires, lors d’un mini-débat diffusé à une heure tardive sur Rossia24.

Distendues pendant la guerre civile en Algérie, les relations bilatérales se sont par la suite resserrées en 2001, après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, et l’instauration d’un « partenariat stratégique ». Cinq ans plus, le chef du Kremlin effaçait la dette algérienne contre des contrats d’armement.