Lors d’un démarchage à domicile, une vielle dame a payé 850 euros pour un matelas et un sommier en liquide. / Ulrich Niehoff/ImageBroker / Photononstop / Ulrich Niehoff/ImageBroker / Photononstop

SOS CONSO Le 13 mars 2015, un vendeur de matelas, Emmanuel X, démarche Monique P., 74 ans, à son domicile de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Il la persuade de lui acheter un matelas et un sommier, qu’il sort de son fourgon et installe aussitôt chez elle. Comme il exige qu’elle le paie tout de suite, elle règle en espèces la somme de 845 euros.

La vieille dame demande alors à M. X s’il vend aussi des gazinières. Il répond par l’affirmative, et lui en livre une, le 31 mars 2015, moyennant la somme de 700 euros, encore payée aussitôt en espèces. Las, la fille de Monique constate que la gazinière est proposée au prix de 180 euros en grande surface. Sur ses conseils, sa mère porte plainte. Le parquet transmet sa plainte le 4 avril 2016 au procureur de la République de Montluçon (Allier), où habite Emmanuel X. Le procureur demande au commissariat de diligenter une enquête et joint trois autres plaintes visant cet homme.

Matelas « rempli d’acariens »

La première de ces trois plaintes concerne Juliette R., âgée de 89 ans lorsqu’elle est démarchée en juin 2014. Elle explique que deux hommes se sont présentés à son domicile de Sentous (Hautes-Pyrénées) : pendant que le premier l’occupait au salon, l’autre est allé dans sa chambre à coucher, a défait sa literie, et changé son matelas. Le premier lui a alors réclamé la somme de 390 euros, qu’elle a réglée par chèque. Elle précise que c’est lui qui a rempli le chèque, et qu’elle s’est contentée de le signer. Les enquêteurs constatent que le chèque a été encaissé par un certain David C., qui indique l’avoir fait « à la demande de son père », Laurent C., lequel explique avoir, en contrepartie, vendu « trois ou quatre matelas » à Emmanuel X.

La deuxième plainte concerne Paulette C., 89 ans. Lorsque Emmanuel X sonne à la porte de son domicile de Saint-Quentin (Aisne), elle lui répond qu’elle ne veut pas de matelas. Mais il la persuade de lui laisser voir le sien. Il affirme alors qu’il est « rempli d’acariens » ; après l’avoir fait sortir de sa chambre en invoquant un danger, il pulvérise un produit dessus, puis réclame le paiement de la bombe. Comme Paulette indique n’avoir que deux billets de 20 euros, il proteste que c’est « beaucoup plus cher ». Il lui fait signer un chèque, qui sera encaissé à hauteur de 280 euros. Les enquêteurs qui procèdent à l’audition de Paulette indiquent qu’« une mesure de protection leur semble nécessaire », en raison de sa « vulnérabilité ». ils ajoutent que « sa surdité entraîne une mauvaise compréhension ».

« Professionnels de la literie »

La troisième plainte concerne Gisèle W., 80 ans : alors qu’elle circule à bord de son véhicule, à Moulins (Allier), Emmanuel X lui demande son chemin. Lorsqu’elle l’a renseigné, il lui propose de lui envoyer un catalogue de literie orthopédique et lui demande pour ce faire son adresse, qu’elle lui donne sans méfiance. L’après-midi même, il frappe à la porte de son domicile de Buxières-les-Mines. Il affirme avoir racheté un magasin de meubles de Moulins et devoir changer son matelas. Comme elle hésite, il demande à voir son lit, et déclare « voir des acariens sauter partout ». Il embarque le vieux matelas, le charge dans son fourgon, et en met un neuf à la place. Il réclame à Gisèle la somme de 1 000 euros, qu’elle ne veut pas lui régler, ayant compris que l’échange était gratuit. Il lui accorde un paiement fractionné en cinq chèques de 200 euros.

Lorsque les enquêteurs interrogent Emmanuel X sur la disproportion entre le prix de vente (1 000 euros) et la valeur de la marchandise (200 euros), il répond que « les gendarmes ne sont pas des professionnels de la literie ». Les enquêteurs préconisent pour Gisèle, comme pour Paulette, « une mesure de protection ».

Cinq condamnations au casier

Lorsque Emmanuel X, 34 ans, est convoqué par l’officier de police judiciaire, le 30 novembre 2017, son casier judiciaire comporte la mention de cinq condamnations depuis 2003, dont deux pour des faits d’abus de faiblesse dans le cadre du démarchage à domicile et une pour pratiques commerciales trompeuses.

Le ministère public le poursuit à nouveau, pour « récidive d’obtention d’un paiement ou d’une contrepartie avant la fin d’un délai de 7 jours à compter de la conclusion d’un contrat hors établissement ». Il lui reproche d’avoir encaissé les chèques et l’argent liquide des quatre personnes le jour même de la livraison, qui était concomitante au démarchage. Aux enquêteurs, le prévenu admet savoir que c’est interdit. « Mais, se justifie-t-il, je fais comment pour manger, Monsieur ? » Lors de son procès, il expliquera qu’« il ne pouvait pas reprendre la marchandise, s’agissant de matelas ».

Le ministère public le poursuit encore pour « abus de faiblesse ou de l’ignorance d’une personne démarchée » ; mais aussi pour « exécution d’un travail dissimulé » (il n’a pas déclaré son chiffre d’affaires aux organismes sociaux et à l’administration fiscale) et pour « blanchiment » (l’argent était encaissé sur les nombreux comptes de sa concubine puis faisait l’objet de virements, pour en masquer la traçabilité).

Le tribunal de grande instance de Montluçon, qui statue le 20 mars 2018, le déclare coupable des faits reprochés, et le condamne à 18 mois d’emprisonnement. Il ordonne la confiscation en valeur de 30 000 euros, et prononce l’interdiction d’exercer le démarchage à domicile pendant cinq ans. Juliette R., qui s’était déclarée partie civile, obtient qu’il soit condamné à lui payer quelque 800 euros.

Abus de faiblesse et ruse

Emmanuel X fait appel, et son avocat réclame la relaxe. La cour d’appel de Riom, qui statue le 23 janvier (2019), confirme pourtant la culpabilité. Sur l’infraction d’abus de faiblesse, elle rappelle les termes de l’article L 121-8 du code de la consommation : « Est interdit le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte. »

Or, s’agissant de Paulette C., elle considère que la manière dont il s’est « imposé à elle » constitue « une action caractéristique d’une ruse ». S’agissant de Gisèle W., elle estime qu’« il a fait preuve d’artifice et de pression pour la contraindre à lui remettre un chèque ». Elle note au passage : « Certes, Emmanuel X se dit spécialiste des matelas, mais manifestement, il n’a aucune connaissance en matière d’acariens, qui sont des arachnides très souvent microscopiques, de sorte qu’il n’a pas pu les voir sauter de partout ».

Prison ferme

La cour d’appel de Riom refuse de diminuer les peines : « Emmanuel X a démontré, par la commission des infractions dont il a été déclaré coupable, que les règles du code de la consommation destinées à protéger le consommateur de pratiques agressives et abusives telles que les siennes l’indiffèrent, malgré les avertissements judiciaires réitérés prononcés à son encontre depuis 2003. »

La cour note que « bien qu’il prétende qu’il va enfin se plier aux exigences du code de la consommation, il continue à justifier ses agissements frauduleux par la nécessité de faire vivre sa famille (Mais comment je fais pour manger, Monsieur ?), sous-entendant ainsi que seul le démarchage méprisant de façon élémentaire le consommateur peut lui permettre d’atteindre ses objectifs ».

Elle décide de lui « infliger une peine d’emprisonnement ferme d’une durée d’un an », sans aucun aménagement, mais aussi « une interdiction définitive de pratiquer le démarchage à domicile » et « une peine de confiscation en valeur de 210 204 euros », correspondant au produit de son travail clandestin.