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Beaucoup de cafés, généralement bondés, étaient fermés et les terrasses des autres étaient vides, lundi 18 mars au soir : Utrecht, d’habitude si joyeuse, jeune et pétillante, avait connu une journée de frayeur. La quatrième ville des Pays-Bas, réputée pour sa douceur de vivre, venait d’être frappée par une attaque meurtrière. « Cela a été un jour noir », a commenté le maire, Jan van Zanen.

A 10 h 45, sur la place du 24-Octobre – jour de la création des Nations unies –, à l’ouest de la cité, un homme a fait feu dans un tramway jaune et noir de la ligne 61, qui se dirigeait vers la gare centrale. Il a tué trois personnes et blessé cinq autres, dont trois grièvement. « J’ai eu l’impression qu’il visait spécialement une femme », dira un témoin. Une jeune vendeuse de 19 ans figure, en tout cas, au rang des victimes, et le tireur a visé des personnes qui voulaient porter secours à cette passagère.

Huit heures plus tard, Gökmen Tanis, 37 ans, a été appréhendé par des unités spéciales de la police dans le quartier d’Oudenoord, où il vivait. Il avait fui à bord d’une Clio rouge volée, retrouvée grâce à la vigilance d’une habitante. Deux autres personnes, dont le rôle éventuel n’a pas été précisé, ont été appréhendées, mais libérées mardi matin.

« Un vrai fou, un demeuré, un dealer »

PIROSCHKA VAN DE WOUW / REUTERS

Qui est le tireur, dont la photo, obtenue grâce aux caméras de surveillance du tramway, a été rapidement diffusée par la police dans le cadre d’un appel à témoins ? « Un vrai fou, un demeuré, un dealer », dit de lui l’un de ses voisins turcs. « Mais pas un terroriste, pas un religieux », affirme un autre, qui l’a connu dans sa jeunesse, quand il vivait dans le quartier populaire de Kanaleneiland. « Un gars accro aux drogues dures », volontiers provocateur, issu d’une famille désunie. En 2011, il apparaissait par hasard dans un reportage, dénigrant une journaliste qu’il traitait de « mongolienne » et de « démocrate ».

Déjà jugé pour tentative de meurtre, vol, menace sur un agent, Tanis était en liberté conditionnelle et devait de nouveau comparaître dans deux semaines pour une affaire de viol. La femme qui l’accuse a affirmé, lundi, au quotidien AD qu’il était un « psychopathe » que la police aurait eu le tort de ne pas suivre d’assez près.

Les experts en terrorisme qui se sont succédé sur les plateaux de télévision tout au long de la soirée de lundi ont toutefois tracé un portrait plus complexe du tireur, soulignant que l’un de ses deux frères aurait affiché sa sympathie pour l’organisation Etat islamique. Un témoin a affirmé que Tanis a crié « Allahou Akbar ! » avant de tirer, une information non confirmée par la police.

Des sources non officielles ont aussi indiqué que des documents retrouvés dans la Clio et à son domicile démontreraient ses sympathies pour l’islam radical et même sa volonté de « répondre » à l’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, où un extrémiste a tué 50 personnes dans deux mosquées. Mardi matin, les réelles motivations du tireur restaient toutefois floues et les autorités, si elles parlaient d’un attentat, maniaient avec prudence le qualificatif « terroriste ». Tout au long de la journée de lundi, elles avaient indiqué que l’on ne pouvait « pas exclure » cette piste. Le premier ministre, Mark Rutte, restait, lui aussi évasif, tout en parlant d’une attaque contre « notre société ouverte et tolérante ».

Des attentats déjoués depuis 2005

Le bâtiment où le tireur a été arrêté. / Peter Dejong / AP

Toutes les activités politiques ont été suspendues dans le pays et, de la gauche à l’extrême droite, les partis se sont mis d’accord pour annuler un grand débat qui devait les réunir sur la chaîne publique lundi soir, deux jours avant les élections provinciales et sénatoriales du mercredi 20 mars. « C’est le moment d’être unis », résumait le dirigeant écologiste Jesse Klaver, appuyé par tous ses homologues, sauf un, Thierry Baudet. Le dirigeant du parti nationaliste et antieuropéen Forum pour la démocratie (FvD) a maintenu un rassemblement de ses partisans, au cours duquel il a dénoncé la politique « laxiste et naïve » de son pays en matière d’immigration et de sécurité.

S’ils n’ont pas connu de grandes vagues d’attentats, les Pays-Bas ont vécu d’autres événements dramatiques depuis l’assassinat du leader populiste Pim Fortuyn – par un défenseur de la cause environnementale –, en 2002. En 2004, le réalisateur Theo Van Gogh était poignardé par un islamiste radical qui l’accusait d’avoir offensé la religion musulmane.

En 2005, sept membres d’un autre groupe terroriste étaient appréhendés in extremis alors qu’ils s’apprêtaient à passer à l’action. En septembre 2018, les autorités indiquaient qu’un « attentat majeur » avait pu être déjoué avec, à la clé, sept arrestations. Et quelques jours plus tôt, un Afghan avait semé la panique à la gare d’Amsterdam, poignardant deux touristes américains avant d’être neutralisé par la police.