Une classe d’une école Omega à Kasoa, au Ghana, le 4 mars 2019. / Dylan Gamba

Ramener le silence. C’est la première mission d’Atsu Gabriel ce lundi matin de mars. La vingtaine d’élèves a bien du mal à stopper les bavardages et les gesticulations, avant que l’enseignant ne se déplace dans les rangs. Là, il double sa mission d’instauration du calme à une autre, toute aussi importante pour lui : collecter les 4 cedis (environ 65 centimes d’euro), le coût de la scolarité quotidienne dans cette école Omega.

L’enseignant de 29 ans travaille au sein de ce réseau qui compte une trentaine d’écoles privées à bas coût au Ghana depuis 2009. Des établissements que les parents paient chaque jour, ce montant incluant les frais de scolarité, le repas, l’uniforme, une inscription aux examens et un cahier par matière enseignée. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest où l’éducation publique est gratuite, la cantine et les frais annexes restent, eux, à la charge de la famille, qui n’en a pas souvent pas les moyens. Ce qui explique qu’en dépit de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, environ 300 000 enfants ne vont pas en classe.

« Des facilités de paiement »

C’est cette situation qui a motivé James Tooley, spécialiste des politiques d’éducation à l’université de Newcastle (Royaume-Uni), à installer plusieurs établissements Omega au Ghana. « J’ai été familiarisé avec le concept des écoles privées à bas coût il y a une vingtaine d’années lors d’un voyage en Inde. Après de plus amples recherches, j’ai trouvé d’autres formules en Afrique et observé que cela offre une très bonne alternative pour les plus défavorisés », témoigne l’enseignant.

Les premiers établissements ont vu le jour à Kasoa, une ville située à une heure de la capitale Accra. Aujourd’hui, trente-deux écoles existent, scolarisant près de 15 000 élèves. Chaque établissement compte environ 450 élèves, âgés de 2 à 16 ans. « Chaque jour, une cinquantaine manque à l’appel dans chacune des écoles, car les parents n’ont pas les moyens de régler les frais ce jour-là, même si nous mettons en place des facilités de paiement », avance Alain-Guy Tanefo, PDG d’Omega Schools. Cet ancien ingénieur médical, originaire du Cameroun et naturalisé canadien, a pris la direction du groupe en 2016.

Desmond Quaye, un jeune collégien de 13 ans, est dans ce cas. Inscrit à l’école de Kokrobite, ville au bord de l’océan Atlantique, il n’est pas en cours ce jour-là. Son père banquier et sa mère femme au foyer ont des revenus limités, alors il s’adapte. « J’étudie à la maison une fois par mois car mes parents n’ont pas suffisamment d’argent pour m’envoyer à l’école. Je demande alors à des camarades de me prêter les cours qui manquent pour que je puisse suivre », précise l’adolescent.

« Un sacrifice pour beaucoup »

Alain-Guy Tanefo sait bien que, dans ses écoles, « près de 70 % des parents sont des commerçants sans revenus fixes, 20 % des fermiers ou des pêcheurs et seulement 10 % sont des employés ». Aussi, il a « parfaitement conscience qu’envoyer les enfants dans nos établissements représente un sacrifice pour beaucoup ». Un effort auquel consent pourtant Suzanne Ahiable. Cette jeune mère de famille scolarise même ses deux enfants dans des écoles Omega, pour un coût de 140 cedis par mois. Une charge pour cette cuisinière qui en gagne environ 400 par mois, ainsi que pour son mari, dont le revenu mensuel de chauffeur oscille entre 100 et 500 cedis.

Pourtant, le couple revendique son choix, préférant « envoyer ses enfants dans une école privée, car les professeurs y sont moins absents que dans le public et les résultats y sont bien meilleurs ». Les établissements Omega affichent en effet un taux d’admission au BECE, l’équivalent ghanéen du brevet des collèges qui valide l’entrée dans le secondaire, vingt points au-dessus des écoles publiques.

Mais tout n’y est pas idyllique pour autant. D’abord, pour y maintenir les frais de scolarité, les établissements rognent un maximum sur les coûts. Le repas du midi consiste en un petit bol de riz agrémenté de sauce, qui sera pour certains le seul de la journée. Par ailleurs, Omega recrute des professeurs peu qualifiés, âgés d’une vingtaine d’années et qui sortent du secondaire. « Nous les rémunérons environ 300 cedis par mois, contre 750 cedis dans les établissements publics », reconnaît Alain-Guy Tanefo.

L’ire des syndicats

Autre particularité du lieu : les enseignants n’y conçoivent pas eux-mêmes les cours. Une quinzaine de personnes, diplômées cette fois, élaborent en effet les programmes d’anglais, de mathématiques, d’histoire ou de français à destination des enseignants, qui doivent ensuite les suivre scrupuleusement.

Cette politique de réduction des coûts provoque l’ire des syndicats qui déplorent qu’« ils emploient des professeurs beaucoup trop jeunes et pas assez formés », comme le pointe Veronica Dzeagu, coordinatrice des programmes du Ghana National Education Campaign Coalition (GNECC), un regroupement de syndicats d’enseignants du public. « De plus, ils n’installent pas leurs écoles dans les régions les plus pauvres et cherchent surtout à s’assurer que les clients aient les moyens de payer », dénonce-t-elle.

Des critiques qu’Alain-Guy Tanefo connaît par cœur et auxquelles il répond sans tergiverser : « Oui, nous sommes à la tête d’un business et nous devons gagner de l’argent, cela est évident. Mais nous proposons aussi une solution à des enfants qui le plus souvent n’allaient pas à l’école. »

Sommaire de notre minisérie Ghana, le petit pays qui voit grand

Le Monde Afrique prend le pouls de cet Etat anglophone situé dans une Afrique de l’Ouest majoritairement francophone pour raconter le début d’une mutation économique et sociétale amorcée en 2017 par son président fraîchement élu, Nana AKufo-Addo.