Il est à des années-lumière de faire l’unanimité. Le dispositif de vidéo-audiences, pour plaider à distance les recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) des demandeurs d’asile déboutés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) suscite toujours une levée de bouclier. Depuis le 14 mars, des avocats du barreau de Paris refusent de plaider à la CNDA, pendant les créneaux où des audiences par vidéos interposées sont prévues.

Dans l’auditorium de la maison du barreau, mardi 19 mars, le vice-bâtonnier de Paris a le visage grave. Basile Ader déplore une « déshumanisation » et une « maltraitance » de la justice. Cette nouvelle forme d’audience, expérimentée à Lyon et Nancy, est considérée comme d’autant plus inacceptable « dans un domaine où l’humain est primordial et où c’est l’intime conviction du juge qui décide de la vie d’une personne et de sa famille », s’alarme Serge Deygas, bâtonnier désigné de Lyon.

Le barreau de Lyon est farouchement opposé à une telle mise en œuvre, invoquant « une rupture d’égalité insoutenable entre les justiciables » par rapport aux autres territoires et une limitation de l’accès au juge. Il refuse également de communiquer à la CNDA une liste d’avocats à l’aide juridictionnelle, souvent sollicitée pour ce type de dossier.

« Prétexte fallacieux »

Le recours à cette disposition est prévu par la loi depuis 2011 mais exigeait jusqu’à présent, en France métropolitaine, le consentement du requérant. Un consentement levé le 10 septembre 2018 après la promulgation de la loi Collomb, ouvrant la voie à une généralisation des vidéo-audiences dans l’Hexagone, déjà utilisées en outre-mer depuis cinq ans.

La CNDA, sous la houlette de sa présidente Dominique Kimmerlin, les a rendues obligatoires, au 1er janvier, dans les ressorts des tribunaux administratifs de Nancy et Lyon. Dans chacune de ces deux villes, une salle a été spécialement aménagée pour en assurer la teneur. Deux écrans placés face à trois chaises, des micros et quelques fauteuils pour le public. C’est à travers une caméra que le demandeur d’asile, accompagné de son avocat et d’un interprète, doit expliquer sa situation au juge qui, lui, se trouve à Montreuil (Seine-Saint-Denis), dans les locaux de la CNDA.

Le principal argument de la Cour va dans ce sens : les demandeurs d’asile y gagneraient « en termes de coûts et de délais de transport », puisqu’ils n’auraient plus à se déplacer jusqu’en région parisienne. Mais pour les avocats, cette démonstration est irrecevable. « C’est un prétexte fallacieux car, d’expérience, les requérants acceptent de se déplacer à Paris », martèle Marianne Lagrue, membre du conseil de l’ordre de Paris.

Atteinte aux droits de la défense

« Certaines personnes sont torturées en étant filmées. C’est une hérésie totale que de vouloir les remettre face à une caméra », s’indigne Olivier Chemin, président d’Elena, une association des avocats du droit d’asile. Me Olivier Brisson regrette également une « absence de compassion » : « Ce sont souvent des gens fragiles qui ont besoin de proximité. » Du côté du Syndicat des avocats de France (SAF), on avance « une unité de lieu depuis la nuit des temps dans l’art de juger ». Gérard Tcholakian du SAF souligne ce qu’un écran ne peut laisser transparaitre :

« Le corps dit parfois plus que ce que porte la voix comme la sueur sur un visage. Les justiciables ont besoin de savoir s’ils sont écoutés par le juge. Nous, les avocats, avons aussi besoin de savoir si on les intéresse ou si on les agace. »

Plus globalement, les avocats voient dans ce mécanisme une « atteinte aux droits de la défense ». Plutôt que de séparer le demandeur d’asile de celui qui le juge, ils préconisent la mise en place d’audiences « foraines », où les magistrats se déplaceraient en province. En filigrane, une crainte majeure : celle de voir ce dispositif « se généraliser à toutes les audiences » au-delà du contentieux des droits des étrangers. Dans un contexte où la réforme de la justice contient des dispositions en matière de visioconférence, les avocats ne comptent pas en rester là. « Nous ne lâcherons pas », fulmine Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris.