A Birao, dans le nord de la Centrafrique en décembre 2017. / ALEXIS HUGUET/AFP

Le jardin qui jouxte la cathédrale de Bangui est un endroit calme et apaisant. Sous une paillote, Bobo et Dorka sont là tous les deux sagement assis, souriants même, presque étonnés que l’on veuille recueillir leurs témoignages.

A 14 ans, Dorka est encore une petite fille, que rien ou presque ne saurait distinguer des autres. Menue, fine et souriante, une barrette rose dans les cheveux, elle raconte de façon presque détachée le calvaire qu’elle a vécu jusqu’à il y a peu. Elle vient de Bossangoa, où elle vivait avec son grand-père, lorsque les ex-Séléka ont fait une incursion en 2016. Les combats ont semé le chaos et tout le monde a fui. Sauf elle.

Seule, à 12 ans à peine, elle est enrôlée dans un groupe d’anti-balakas. « C’était difficile, raconte-t-elle, il n’y avait pas beaucoup à manger. » Dorka n’a pas été forcée de combattre, dit-elle, et n’a pas été abusée sexuellement. Mais, affirme-t-elle, il y en avait beaucoup d’autres comme elle dans le groupe, et tous n’ont pas eu cette chance.

Vie de violence

Par vengeance, pour survivre, ou par contrainte, ils sont des milliers à être intégrés, au grès des attaques, aux groupes armés qui contrôlent encore 80 % du territoire centrafricain. « Les groupes les enrôlent parce qu’ils sont très obéissants, raconte Eddy Bamdeko, superviseur de Caritas pour la protection de l’enfance à Bangui, et une fois drogués ils peuvent être des combattants redoutables. Ils n’ont pas de pitié. »

« Le “comzone” [commandant de zone, responsable hiérarchique] nous disait d’aller à tel endroit, on y allait », confirme Bobo qui, contrairement à Dorka, a porté les armes et participé à des combats. Bobo est originaire de Bangui, où il vivait avec sa famille en 2013 et 2014, au plus fort de la crise. Il avait alors une douzaine d’années. Dans le chaos qui a suivi l’arrivée des Séléka en ville, de multiples crimes ont été commis. Alors, il dit avoir voulu « se venger » et rejoint un autre groupe armé, dans une ville un peu plus au nord. Aujourd’hui, il a 16 ans. De petite taille, le visage toujours juvénile, mais le regard sombre, lui aussi raconte la faim au sein du groupe. « Je mangeais les mangues que je trouvais », explique-t-il. Un jour, en février 2017, quelqu’un de Caritas est venu discuter avec le comzone, et s’est chargé de retrouver la mère de Bobo, à Bangui. Depuis, il a réintégré un circuit scolaire classique. Plus tard, il voudrait devenir professeur. Il n’a jamais parlé à ses nouveaux amis de sa vie au sein du groupe armé. Trop de risques d’être stigmatisé.

En 2014, le nombre d’enfants intégrés dans les groupes armés était estimé entre 6 000 et 10 000 dans toute la RCA. Mais, depuis cette date, l’Unicef et l’ensemble des organisations qui font du plaidoyer auprès des leaders de groupes, comme Caritas, Espérance ou War Child, affirment en avoir libéré plus de 13 000. Une preuve selon elles que le chiffre généralement admis est largement sous-estimé et que le recrutement se poursuit.

S’ils n’ont plus de proches vivants, les enfants sont envoyés dans des familles d’accueil, qui sont rémunérées chaque mois pour les héberger. Les plus jeunes retournent à l’école, d’autres suivent un cursus professionnel adapté pour trouver un travail. La seule façon de ne pas être tentés de retourner vers une vie de violence. Même si la réintégration est parfois difficile, « il y a très peu de récidive, lorsque les enfants sont convenablement suivis, assure Eddy Bamdeko. Le plus difficile est que certains ont pu changer de statut au sein du groupe, et devenir des petits chefs. Ceux-là, parfois, n’ont pas envie de partir. » Quant aux filles, certaines filles reviennent enceintes ou avec un enfant, et leur réinsertion en est d’autant plus difficile.

« Alors je l’ai fait »

Un jour, le groupe de Dorka s’est mis en route vers Bangui. Un mois de marche éprouvante dans la brousse, où Dorka dormait à même le sol, sans même une natte. Affaiblie, elle a souffert du paludisme. « Ils me donnaient de l’aspirine contre la fièvre », raconte-t-elle. Certains autres enfants étaient ses amis, se souvient-elle, mais elle n’a plus de nouvelles d’eux depuis qu’elle a été relâchée. Elle non plus ne dit rien à ses nouveaux camarades de classe, car « ils se moqueraient de moi ». Comme pour se libérer d’un fardeau, au détour d’une question un peu anodine, elle raconte un épisode sordide, une chose atroce que son groupe l’a obligée à commettre. « Je leur ai dit que je ne voulais pas le faire, mais ils m’ont grondée, raconte-t-elle, presque pour s’excuser. Alors je l’ai fait. » Les membres de Caritas ont beau lui avoir expliqué que ce n’était pas sa faute si elle avait achevé cette femme qu’on lui avait présentée ligotée, ce souvenir la hante encore et elle en fait des cauchemars. Lorsque le groupe arrive aux alentours de Bangui, le comzone accepte, après discussion avec Caritas, de libérer Dorka et un certain nombre de ses compagnons d’infortune. Elle sait aujourd’hui que son ancien chef est en prison, mais cela ne lui « fait rien », dit-elle, un brin désabusée. Elle qui plus tard voudrait être avocate. Ou juge.

Dans les moments de détente politique, comme c’est le cas depuis la signature de l’accord de Khartoum, le 6 février, il y a une opportunité pour la libération d’enfants issus de ces groupes, et des ONG se rendent auprès des responsables pour faciliter leur départ. A Bria, par exemple, le 9 mars, 155 enfants issus du FPRC (une branche des ex-Séléka) ont pu être relâchés, après des discussions menées par le groupe Espérance. Mais les situations divergent selon les zones, et certains groupes estiment que l’accord de paix est encore trop précaire pour accepter de libérer des combattants, qui pourraient leur manquer en cas de reprise des combats.