Madison Curry dans le film "Us" écrit, produit et réalisé par Jordan Peele. / UNIVERSAL PICTURES / AP

LA LISTE DE LA MATINALE

Un documentaire incandescent en compagnie d’une victime de crimes affreux à la rencontre de ses bourreaux, le second long-métrage, après Get Out, de Jordan Peele qui plonge dans les recoins vertigineux de l’inconscient américain, une dystopie enfantine mexicaine : la peur est au rendez-vous dans les salles obscures.

« M » : un enfant meurtri dans la nuit de Tel-Aviv

M by Yolande Zauberman | Clip | GeoMovies
Durée : 02:17

M s’attache à l’extraordinaire trajectoire d’un homme qui fut dans son enfance victime de prédations sexuelles au sein d’une des plus grandes communautés ultraorthodoxes au monde, celle de Bnei Brak à Tel-Aviv. Cet homme, Menahem Lang, nous le découvrons dans ce film à l’âge de 35 ans, avec sa douleur à fleur de peau, ses yeux bleu laser, son visage en lame de couteau, ses affolantes cantillations de chanteur sacré, son exhibitionnisme à tout-va, sa joie naïve et amère d’enfant à jamais meurtri.

Après s’être enfui, à l’âge de 20 ans, de ce monde où il est né, après avoir dénoncé à la télévision publique israélienne les exactions dont il y fut l’objet, après avoir subi des menaces et pensé ne plus jamais y remettre les pieds, après avoir rompu avec ses parents, il y pénètre pourtant de nouveau en compagnie de Yolande Zauberman, nous embarquant, entre passé et présent, dans ce théâtre médiéval planté comme un mystère en pleine métropole moderne, le temps d’un voyage dantesque.

Ce serait une erreur de comprendre M comme un film de dénonciation ou comme un document à charge. Il manque trop d’informations et d’impartialité pour cela. C’est précisément par son implication subjective qu’il transcende le fait divers et parvient à nous toucher aussi profondément.

D’abord, pour des raisons de mise en scène. C’est un tournage de nuit, violemment éclairé sur les personnages, toujours en mouvement dans un quartier fermé, filmé en partie clandestinement, rôdant dans l’obscurité des cimetières, s’immisçant dans la ferveur des oratoires. Une dramaturgie expressionniste s’en dégage, renforcée par le caractère magnétique du personnage et la nature surréelle des rencontres, fortuites ou concertées, qu’il fait tout au long du film. Qu’une lumière aussi intense puisse sourdre d’un tel film n’est pas le moindre miracle dont il se montre prodigue. Jacques Mandelbaum

« M », documentaire français de Yolande Zauberman (1 h 46). « M » se prolonge avec un livre consacré au tournage du film, « L’Histoire de M », cosigné par Sélim Nassib et Yolande Zauberman (Ed. du Seuil, 183 p., 17 €).

« Us » : le miroir sombre de l’Amérique

Us / Bande-Annonce 2 VOST [Au cinéma le 20 mars]
Durée : 01:01

Us = nous = United States. Cette équivalence se vérifie lorsque Red (Lupita Nyong’o) énonce d’une voix de pendue (étranglée, spectrale) à l’adresse d’Adelaïde Watson (Lupita Nyong’o) : « We are Americans. » Le second long-métrage de Jordan Peele, après Get Out (2017), n’a pas commencé depuis bien longtemps, mais il a déjà traversé l’horreur populaire, la satire sociale et l’angoisse quotidienne pour atterrir à pieds joints dans l’un des sous-genres les plus populaires du cinéma d’horreur contemporain : le home invasion movie.

Les tribulations de la famille d’Adelaïde Watson – et de ceux et celles qui ont payé pour les voir sur grand écran – ne s’arrêteront pas là. Annoncé comme un pur film d’horreur, par opposition à Get Out, à la fois commentaire social et film de genre, Us ne se tient jamais tout à fait à ce programme, quelle que soit la virtuosité joyeusement destructrice dont témoigne Jordan Peele lorsqu’il lui faut renouveler les figures imposées de la discipline.

Le récit éclate sans cesse en images indélébiles qui renvoient non seulement à l’histoire passée et présente des Etats-Unis, mais aussi à celle du cinéma et plus généralement de la culture populaire. Il y aura du sang, des courses dans la nuit, des visages terrifiants qui surgiront de l’obscurité, l’apprentissage de la violence par des gens qui ne l’avaient jamais pratiquée, toutes les stations du calvaire ordinaire des personnages de l’horreur, dessinées avec vigueur et conviction. Mais aussi d’étonnantes chorégraphies, des espaces imaginaires (souvenez-vous de la sunken place de Get Out) qui donnent le vertige.

Us ne propose pas un discours cohérent sur la place de la violence, des divisions sociales et communautaires dans la société américaine. Sous les pas des Watson, Jordan Peele a ouvert trop d’abîmes. Il ne reste qu’à profiter du vertige, avec la certitude que l’ex-imitateur du président Obama est devenu l’une des attractions majeures de la foire des ténèbres du cinéma américain. Thomas Sotinel

« Us », film américain de Jordan Peele. Avec Lupita Nyong’o, Winston Duke, Elisabeth Moss, Tim Heidecker, Shahadi Wright Joseph, Evan Alex (1 h 56).

« La Flor – partie 2 » : un tortueux récit d’espionnage

Une scène de « La Flor – partie 2 », de Mariano Llinas. / ARP DISTRIBUTION

Tel un serpent de mer ressurgissant à intervalles réguliers, La Flor, fiction protéiforme et démesurée en six épisodes, revient sur les écrans prolonger les aventures endossées à tour de rôles par les quatre actrices de la troupe théâtrale « Piel de Lava » (Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa et Laura Paredes), réunies devant la caméra généreuse de l’Argentin Mariano Llinas.

Cette seconde partie regroupe les deux premiers actes de l’épisode 3, le plus long et ambitieux du projet (une véritable « flor dans la Flor »), sous forme d’un tortueux récit d’espionnage dont le cinéaste ouvre scrupuleusement tous les tiroirs qui contiennent à chaque fois d’insoupçonnables trésors d’invention. Mathieu Macheret

« La Flor – partie 2 », film argentin de Mariano Llinas. Avec Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa, Laura Paredes (3 h 10).

« Comprame un revolver » : un jeu de piste enfantin dans l’enfer des narcos

Bande annonce officielle de "Comprame un revolver" de Julio Hernandez Cordon
Durée : 02:05

Lorsque l’on pratique le jeu délicieusement masochiste de la dystopie, il faut, pour mettre en scène l’enfer à venir, imaginer une catastrophe sans précédent : guerre nucléaire, désastre écologique, pandémie…

Julio Hernandez Cordon n’a rien imaginé du tout. Le cinéaste, qui se définit comme « mésoaméricain » (il est de mère guatémaltèque et de père mexicain), a regardé la réalité du Mexique d’aujourd’hui et l’a à peine exagérée. Une société d’hommes armés, trafiquants de drogue, tueurs de femmes, qui martyrisent les faibles et en premier lieu les enfants. L’Etat a tout à fait disparu, les hommes ont tué les femmes ou les ont poussées à l’exil, ne restent que de dérisoires féodalités surarmées.

S’il se contentait de cette caricature à peine outrée, Comprame un revolver (« achète-moi un revolver ») pourrait être le plus déprimant des films. Mais Hernandez Cordon a voulu pratiquer un optimisme moderne, qui veut voir au-delà du pire à venir.

Son héroïne s’appelle Huck, comme Huckleberry Finn, le jeune garçon imaginé par Mark Twain, qui, en compagnie du fugitif Jim, descend le fleuve pour échapper à la servitude. Malgré des moyens dérisoires, le cinéaste organise un jeu de piste tour à tour éprouvant et joyeux, qui oppose la soif de vivre des enfants aux rites mortifères des hommes adultes. T. S.

« Comprame un revolver », film mexicain de Julio Hernandez Cordon. Avec Matilde Hernandez Guinea, Angel Leonel Corral, Rogelio Sosa (1 h 24).

Avant que Bollywood n’apprenne à chanter : mythique cinéma indien à la Fondation Jérôme Seydoux

Une scène de « Prapancha Pash », film indien de Franz Osten (1929). / NATIONAL FILM OF INDIA

A peine vingt ans après son invention, le cinéma avait pris racine en Inde, alors sous domination britannique. Le programme proposé par la fondation Jérôme Seydoux donne un aperçu de la production indienne avant l’arrivée du cinéma parlant en 1933.

Si certaines bandes relèvent de la propagande coloniale, comme ce film à la gloire des chemins de fer du Bengale, on est frappé de voir à quelle vitesse les cinéastes indiens se sont emparés du nouveau moyen d’expression pour raconter leurs propres histoires, tirées des textes religieux ou inspirées par l’histoire du sous-continent.

Un programme de courts-métrages comiques donne à voir à la fois l’influence des vedettes mondiales (Chaplin, Linder) mais aussi les mutations de la société indienne. On découvrira aussi Prapancha Pash (1929), le dernier volet de la trilogie à grand spectacle de Franz Osten, cinéaste allemand établi à Bombay, qui mobilisait des milliers de figurants pour raconter des histoires tirées du patrimoine légendaire. T. S.

« Mythique cinéma indien »  jusqu’au 6 avril, à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 73, avenue des Gobelins, Paris 13e. Ouvert du mardi au samedi.