Le Monde

« Vingt mille lieues sous les mers », de Jules Verne, Le Monde, 512 p., 10 €. En kiosque.

Dans le temps où il écrit Vingt mille lieues sous les mers, entre 1866 et 1869, Jules Verne s’installe face à la Manche, en baie de Somme, au ­Crotoy, effectue un voyage transatlantique Paris-New York à bord du Great Eastern, le « Léviathan des mers », et devient le capitaine d’une chaloupe qui, rééquipée, sera le Saint-Michel I. Ce nouvel ouvrage ouvre à son auteur, après celles de la terre (Cinq semaines en ballon, 1863 ; Voyages et aventures du capitaine Hatteras, 1864-1866 ; Voyage au centre de la Terre, 1864 ; Les Enfants du capitaine Grant, 1867-1868) et du cosmos (De la Terre à la Lune, 1865), cette voie « des profondeurs de la mer » qu’en 1865 sa lectrice George Sand lui enjoignait d’emprunter.

Ce sixième des Voyages extraordinaires est le récit de la capture, du périple abyssal et de la villégiature, à bord du Nautilus et sous la férule de son capitaine, l’énigmatique Nemo, du professeur Aronnax, de son domestique Conseil et du harponneur Ned Land. Il s’affirme comme une épopée politique : en rupture d’humanité, Nemo poursuit d’une haine meurtrière la puissance britannique et finance les luttes anti-impérialistes. Mais aussi comme un opéra scientifique et visionnaire – le Nautilus avant-gardiste, qui tient du tank par sa puissance d’éperonnage, du wagon Pullman quant au confort, et du laboratoire-musée océanographique ; l’approche érudite et jouissive de la zoologie marine décrite avec une scintillance verbale et un lyrisme uniques ; l’inventaire des richesses archéologiques des fonds marins, notamment l’extraordinaire visite des ruines de l’Atlantide.

Nemo, figure envoûtante

Il offre surtout la création d’un des derniers grands mythes littéraires, celui de Nemo, figure envoûtante, raffinée et opaque, à la fois homme brisé et « archange de la haine », ­génie scientifique et supérieur d’un couvent de métal où s’affaire un étonnant peuple de muets. Publié en 1869 et 1870, orné en 1871 par les 111 magnifiques illustrations de ­Neuville, porté à l’écran par Richard Fleisher en 1951, Vingt mille lieues sous les mers déploie tous les sortilèges du récit vernien : mise en scène épique du savoir encyclopédique et création d’une nouvelle poétique du récit d’aventure accordée à la modernité historique du XIXe siècle.