A l’orphelinat Sheldrick, à Nairobi, en mars 2019. Les éléphanteaux y sont recueillis, soignés puis élevés pendant près de vingt avant d’être préparés encore plusieurs années pour être relâchés dans leur milieu naturel. / YASUYOSHI CHIBA/AFP

Luggard n’avait que 5 mois lorsqu’il a été recueilli. Blessé par deux balles, dont une qui a endommagé en plusieurs endroits son fémur droit, l’éléphanteau ne parvenait plus à suivre le rythme de son troupeau dans le parc national de Tsavo, au Kenya.

« Il était trop tard pour une opération qui aurait pu être couronnée de succès », raconte Edwin Lusichi, gardien en chef de l’orphelinat pour éléphanteaux du Fonds Sheldrick pour la faune sauvage (SWT), à Nairobi, où Luggard a trouvé refuge et pansé tant bien que mal ses blessures.

Désormais âgé de 3 ans, l’éléphanteau se déplace en boitant sur sa patte déformée, ce qui ne l’empêche pas d’accourir chaque matin avec enthousiasme, en compagnie d’une vingtaine de camarades orphelins, lorsque arrive l’heure du repas au Fonds Sheldrick.

« Nous sommes comme leur mère »

Comme tous les jours, les jeunes éléphants se jettent goulûment, ce matin de mars, sur des biberons géants contenant un mélange de lait en poudre, d’eau et de vitamines, une recette unique développée par le centre pour remplacer le lait maternel d’éléphante.

A l’orphelinat, où humains et jeunes éléphants partagent presque tout, chaque éléphanteau a une histoire tragique. « Lorsque nous les recueillons, certains n’ont que quelques jours », souligne Kirsty Smith, administratrice du SWT.

Un gardien du centre Sheldrick, à Nairobi, apporte les gigantesques biberons pour nourrir les éléphanteaux recueillis. Ces derniers ne sont sevrés qu’entre 5 et 10 ans. / YASUYOSHI CHIBA / AFP

Larro, 10 mois, est le plus jeune éléphanteau du centre. Elle errait seule dans la célèbre réserve du Masaï Mara lorsqu’elle a été retrouvée, vraisemblablement après une violente rencontre entre sa famille et des habitants de la zone. « Parfois, les éléphants entrent dans des propriétés, des fermes. Les gens se battent contre eux pour les chasser et, durant ce combat, les bébés sont séparés de leur famille », explique M. Lusichi.

Sans leur mère, les éléphanteaux ne peuvent survivre. Leur sevrage n’intervient qu’entre leurs 5 et 10 ans, et les jeunes ne deviennent adultes que vers 18 ans. Un éléphant peut vivre jusqu’à 70 ans, mais beaucoup meurent prématurément.

Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), quelque 20 000 éléphants d’Afrique sont tués chaque année, principalement pour leurs défenses. Ce commerce illégal est alimenté par la demande en Asie et au Moyen-Orient, où l’ivoire est utilisé en ornementation ou, réduit en poudre, dans la médecine traditionnelle. 

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« Les trafiquants tuent tout un éléphant juste pour avoir les défenses ! », s’exaspère M. Lusichi, au moment de raconter l’histoire d’Enkesha, 2 ans. « Vous voyez sa trompe ? Elle était coincée dans un piège » qui a presque amputé l’appendice, indispensable aux éléphants pour respirer, acheminer eau et nourriture dans leur gueule et communiquer. Après une longue rééducation, le jeune pachyderme peut désormais se servir presque normalement de sa trompe, barrée d’une impressionnante cicatrice.

Moment de tendresse pour les éléphanteaux nourris au biberon toutes les trois heures au centre Sheldrick de Nairobi. « On dort, on vit, on joue avec eux, on leur fait des câlins, explique un gardien. Nous sommes comme leur mère. », / YASUYOSHI CHIBA / AFP

Les éléphanteaux demeurent jusqu’à l’âge de 3 ans environ à l’orphelinat, où ils sont nourris toutes les trois heures et dorment dans des enclos en bois individuels, chacun en compagnie d’un gardien. « C’est comme passer la nuit dans une chambre à coucher avec un bébé humain », confie Julius Shivegha, 43 ans, l’un des gardiens.

« On doit s’assurer qu’ils sont bien recouverts d’une couverture qui leur tient chaud », dit-il. « Nous sommes près d’eux pour les rassurer, leur tenir compagnie, juste s’assurer qu’ils ne se sentent pas seuls. »

En journée, les gardiens accompagnent les jeunes éléphants lorsqu’ils déambulent dans la savane et leur préparent chaque jour un bain de boue dans lequel ils prennent un malin plaisir à se rouler, glisser et former des bulles avec leur trompe.

« Parfois, on joue au football avec eux, affirme M. Shivegha. Parfois, on leur fait juste un câlin. Certains n’arrêtent pas d’essayer d’attraper nos mains ou de se servir de nos doigts comme de tétines. Tout cela nous rend très proches d’eux (…), nous sommes comme leur mère. »

« Arrêtez d’acheter de l’ivoire ! »

Pour la plupart des éléphanteaux, la vie après l’orphelinat se déroule dans l’un des trois centres de réintégration situés dans le parc national de Tsavo (sud-est). Ils y passent plusieurs années à apprendre à vivre sans les humains, avant de pouvoir rejoindre un troupeau.

Pour les éléphants handicapés, comme Luggard, le SWT a créé un sanctuaire dans la forêt de Kibwezi, à quelques encablures du parc de Tsavo, loin de toute habitation humaine et où abondent toute l’année nourriture et eau.

Les éléphanteaux sont élevés durant presque vingt ans avant de pouvoir être préparés à être relâchés en liberté. / YASUYOSHI CHIBA / AFP

En quarante-deux ans d’existence, le SWT a recueilli 230 éléphants. Plus de 120 d’entre eux vivent désormais en liberté et ont donné naissance à une trentaine d’éléphanteaux, selon Mme Smith.

M. Shivegha appelle de son côté au « soutien de tous » afin de créer des alternatives au braconnage dans les communautés pauvres installées à proximité des parcs nationaux. Il recommande également un travail de sensibilisation, particulièrement où la demande d’ivoire est la plus importante. « Il faut leur dire d’arrêter d’en acheter ! »