Le ministère de l’économie aurait dû fournir au citoyen qui en avait fait la demande les détails de l’accord signé en 2015 entre Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et les sociétés autoroutières. Ainsi en a décidé le Conseil d’Etat.

En rendant cette décision, lundi 18 mars, la plus haute juridiction administrative a désavoué celui qui est devenu président de la République et donné raison à Raymond Avrillier – grâce à qui est née également l’affaire dite des sondages de l’Elysée. Cet ultime recours avait été formulé par le ministère de l’économie dans l’espoir de garder secret l’accord, malgré l’avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et le jugement du tribunal administratif.

Réglementation des tarifs autoroutiers

Revenons en 2015. Emmanuel Macron est alors ministre de l’économie et des finances. Les sociétés autoroutières avaient engagé un bras de fer avec l’Etat après que celui-ci avait décidé d’un gel des tarifs des péages. Après plusieurs recours déposés devant les juridictions administratives pour faire annuler cette décision, les sociétés concessionnaires avaient finalement obtenu un accord annoncé par le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, le 9 avril 2015. Un accord dont le contenu est resté secret.

Le citoyen grenoblois Raymond Avrillier avait donc saisi la CADA pour en obtenir une copie. Sans succès. Il avait alors porté l’affaire devant le tribunal administratif, qui lui avait donné raison. L’ultime recours formulé par le ministère devant le Conseil d’Etat reposait sur le supposé caractère « transactionnel » de l’accord afin que celui-ci échappe aux règles de la transparence de la vie publique. Pour le Conseil d’Etat, l’argument ne tient pas : « Pour respectable que soit l’outil transactionnel, il nous semble assez sain qu’il entre dans la catégorie des documents sur lesquels les administrés disposent du droit de regard de portée générale que leur a reconnu le législateur. »

Dans ses conclusions, la rapporteuse publique du Conseil d’Etat, Aurélie Bretonneau, assène :

« Nous trouverions paradoxal (…) qu’échappent au droit d’accès des documents dont l’objet est, pour la personne publique, d’octroyer à une autre personne des contreparties de nature à monnayer à un désistement. »

Une décision en faveur de la transparence

La portée de la décision du Conseil d’Etat est, avant tout, symbolique. Le contenu de l’accord avait en effet fuité dans la presse ces dernières années. Mediapart en a publié l’intégralité le 13 janvier. Cette publication aurait pu inciter le Conseil d’Etat à délivrer un non-lieu sur l’affaire en avançant la notion de « diffusion publique ». Or celui-ci rappelle que « l’accès au blog de Mediapart est payant ».

La rapporteuse ironise ensuite sur le fait que « la confidentialité à laquelle semble tenir le ministre est d’ores et déjà mise à mal, et que M. Avrillier dispose d’une voie d’accès facile au document qu’il réclame, quel que soit le sens de [la] décision. Celle-ci n’en revêtira pas moins une certaine importance, car elle sera la première à se prononcer sur le caractère communicable ou non des protocoles transactionnels ».

La décision du Conseil d’Etat crée ainsi une jurisprudence. En rendant public un accord transactionnel, le Conseil d’Etat envoie un signal fort au pouvoir. Selon Djamila Mrad, docteure en droit public et membre du collectif les Surligneurs, « cette solution a une forme de double effet vertueux. Pour les citoyens, l’accès à l’information à travers la communication de ce type de document participe du souci de la transparence de la vie publique. Ensuite, effet vertueux pour les pouvoirs publics, car rendu public ce document invite politiquement les pouvoirs publics à signer une bonne transaction, car elle sera potentiellement lue par les citoyens qui en auront demandé l’accès ».

L’ex-ministre Macron à l’origine des manœuvres dilatoires

Pour M. Avrillier, c’est bien l’actuel président de la République qui est à l’origine des manœuvres dilatoires confinant l’accord au secret le plus absolu. Car si Emmanuel Macron a quitté son poste de ministre le 30 août 2016 et le pourvoi formulé par Bercy a été déposé trois jours plus tard, le 3 septembre 2016, « la décision avait été prise avant, dans le courant du mois d’août quand il était encore ministre, j’en ai la certitude », affirme Raymond Avrillier.

« Maintenant, il va falloir regarder la légalité de cet accord, poursuit le militant. Il a été signé par M. Macron et Mme Royal [ministre de l’écologie], alors qu’il engage des décisions qui relèvent de la compétence du ministère des finances, alors dirigé par M. Sapin. Je pense que M. Macron était incompétent pour imposer des décisions en matière fiscale. »

M. Avrillier a formulé une nouvelle demande auprès du ministère pour que lui soient communiqués les documents. Contacté par Le Monde, le ministère indique prendre « acte de la décision du Conseil d’Etat et s’y conformera. Les documents demandés seront communiqués dans les jours qui viennent ».