C’est la plus longue décision jamais rendue par le Conseil constitutionnel. Les multiples recours des députés et des sénateurs de l’opposition, de droite comme de gauche, contre la loi de programmation et de réforme pour la justice ont amené l’institution présidée par Laurent Fabius à valider, jeudi 21 mars, l’essentiel du texte, mais à en censurer plusieurs articles importants.

En premier lieu, c’est le renforcement des pouvoirs du parquet, notamment en lui permettant de recourir beaucoup plus largement aux techniques d’écoute, de géolocalisation et autres interceptions des communications électroniques qui est censuré. Autrement dit, les gardiens de la Constitution estiment que ces mesures ne sont pas suffisamment entourées de garanties dans ce texte défendu par Nicole Belloubet, garde des sceaux. Selon le Conseil constitutionnel, il faut laisser aux juges du siège, comme les juges d’instruction et les juges des libertés et de la détention (JLD), statutairement indépendants, le soin de pouvoir ordonner de telles mesures.

Les dispositions de l’article 46 du projet de loi qui permettaient de recourir à ces techniques spéciales dans le cadre d’une enquête en flagrance ou d’une enquête préliminaire pour tous les crimes (et pas seulement la délinquance et la criminalité en bande organisée) sont censurées. Par ailleurs, les paragraphes de l’article 44 qui étendaient les interceptions des communications électroniques à tous les délits punis de trois ans de prison et plus sont censurés. Un seuil qui incluait, selon le Conseil constitutionnel, des infractions sans « particulière gravité » ni « complexité ».

Violation des droits de la défense

Toujours sur le volet pénal, le recours à la vidéoconférence pour les audiences de prolongation de détention provisoire qu’instaurait l’article 54 du projet de loi est censuré. Cet article avait été introduit pour répondre à la complexité que représente l’extraction des détenus des prisons pour les amener face aux juges. Un problème de logistique qui a parfois amené à devoir libérer des personnes qui n’avaient pas pu être présentées dans les temps au juge d’instruction ou au JLD. Mais, concernant une mesure aussi coercitive que l’emprisonnement pour des présumés innocents, l’institution de la rue Montpensier estime qu’il s’agit d’une violation des droits de la défense.

Enfin, sur le volet civil du projet, l’une des dispositions sur lesquelles les contestations des avocats et des magistrats se sont réunies est censurée. Il s’agit de l’article 7 qui prévoyait, certes à titre expérimental, de confier aux caisses d’allocations familiales de décider des modifications des pensions alimentaires fixées par un juge. Mme Belloubet avait argué qu’il s’agissait seulement d’un ajustement selon un barème en fonction de l’évolution de la situation financière de l’un des ex-conjoints. Les juges constitutionnels y ont vu l’introduction d’un principe dangereux, à savoir la modification par une personne privée d’une décision judiciaire, sans garantie suffisante.

L’essentiel de la réforme est, en revanche, validé, comme la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance, l’expérimentation d’un tribunal criminel composé de juges professionnels pour juger des crimes punis de quinze ou vingt de prison (comme les viols) en lieu et place d’une cour d’assises et de son jury populaire, ou la réforme des peines de prison, interdisant les peines d’un mois et développant le recours au travail d’intérêt général ou au bracelet électronique.