Theresa May à Bruxelles, le 22 mars. / Francisco Seco / AP

Face au blocage au Parlement britannique sur l’accord de Brexit, l’Union européenne a concédé un sursis à Theresa May, en permettant un report du divorce avec l’UE au 12 avril, voire au 22 mai. Les dates comptent, car les Européens veulent éviter à tout prix que ce sujet ne pollue les élections européennes du 26 mai. A Londres, la première ministre a braqué de nombreux députés en tenant un discours incendiaire opposant les élus aux électeurs, selon elle, « fatigués des enjeux politiciens ».

Notre correspondante à Bruxelles, Cécile Ducourtieux, a répondu aux questions des internautes dans un tchat.

Mmmhh : Que peuvent faire les Britanniques de plus en deux semaines, si la date est décalée au 12 avril ? Cela paraît court pour se mettre d’accord…

Cécile Ducourtieux : Bonjour, très bonne question ! Tout peut arriver. En quinze jours, Mme May peut être contrainte de démissionner, si elle ne veut pas assumer une demande de report long du Brexit et l’absurdité d’une participation des Britanniques aux élections européennes. Les Vingt-Sept parient-ils sur ce changement de leadership ? Difficile à dire. Ils voient difficilement qui pourrait faire mieux qu’elle.

Quick : La seule façon pour Theresa May de faire passer son accord est de réunir une majorité au centre avec les « brexiters soft » des conservateurs et les « remainers soft » de gauche. Or, Jeremy Corbin, le dirigeant travailliste, a déjà rejeté la possibilité de voter pour l’accord. Donc nous connaissons la réponse ! La seule question est de savoir si les Britanniques acceptent d’organiser des élections européennes et d’avoir un report long du Brexit, ou préfèrent aller directement au « no deal ». Qu’en pensez-vous ?

Votre raisonnement n’est pas faux, et les dirigeants de l’UE font le même. Mais ce type de réflexions ne figurent jamais dans les conclusions d’un conseil européen… Donc, on continue à prendre en compte, théoriquement, un vote positif des députés britanniques la semaine prochaine.

Dans les faits, aucune majorité parlementaire n’a émergé au Royaume-Uni ces dernières semaines concernant le Brexit, sauf pour repousser le no deal. Mme May semble vouloir camper sur sa stratégie : c’est mon accord avec les Européens ou le no deal. Côté Vingt-Sept, on n’imagine pas non plus les Britanniques accepter d’aller aux élections européennes. Donc tous les esprits se préparent à un no deal le 12 avril.

« L’incertitude empêche les Vingt-Sept de se consacrer aux “vrais” sujets : renforcement de leur défense, de leur politique industrielle… »

VivaLasVegas : Pensez-vous que Theresa May et le gouvernement britannique pourraient finir par céder sur la question d’un second référendum sur le Brexit ?

Jusqu’à présent, Mme May n’a donné aucune perspective en ce sens. Elle s’en tient, depuis sa prise de poste en 2016, à son « devoir » de « fournir » le Brexit aux Britanniques. Les Européens ne croient pas au second référendum et estiment même qu’il diviserait encore plus la société britannique et ne permettrait pas à l’Union de sortir de l’impasse. Ils considèrent que de nouvelles élections sont plus probables.

Il faut aussi se représenter ce que signifie une révocation de l’article 50 du traité européen, qui permet d’enclencher la sortie d’un pays de l’UE : ce serait une forme de négation du résultat du référendum du 23 juin 2016… Pas simple, pour un gouvernement, de prendre une telle décision.

Igguk : Les Vingt-Sept n’en ont-ils pas marre de cette incapacité à choisir du Parlement britannique ? Ne peuvent-ils pas dire : « Basta, dehors, ça suffit » ?

Les Vingt-Sept en ont assez. Ils ont surtout envie, pressés par les milieux économiques continentaux, d’y voir clair. Pour paraphraser Michel Barnier, le négociateur en chef de Bruxelles, l’incertitude commence à avoir un coût chez les Vingt-Sept. Et elle les empêche de se consacrer aux « vrais » sujets : le renforcement de leur défense, de leur politique industrielle commune…

Les dirigeants de l’Union, pour la plupart, regrettent profondément le Brexit. Ils considèrent que le départ des Britanniques affaiblira durablement l’Union. Certes, ils ont négocié avec Mme May un traité du divorce qu’ils jugent équilibré, qui protège leurs expatriés au Royaume-Uni, les intérêts financiers des Européens et les accords de paix en Irlande. Mais se séparer du Royaume-Uni, grande puissance militaire et économique, affaiblit le projet européen, au moment où il est confronté au protectionnisme de Donald Trump, à la menace russe et aux appétits chinois.

Michel Barnier à Bruxelles, le 21 mars. / ARIS OIKONOMOU / AFP

Pierre : Qui a le plus à perdre en cas de « no deal », l’UE ou la Grande-Bretagne ?

A priori, c’est le Royaume-Uni car l’UE est son premier partenaire commercial : 44 % des exportations du pays vont vers le continent, 54 % de ses importations en proviennent. Le Royaume-Uni est un des tout premiers partenaires commerciaux de la France, de la Belgique ou des Pays-Bas, mais pas dans ces proportions.

Cependant, le retour des taxes à l’entrée sur le territoire britannique, en cas de no deal, affecterait forcément nos exportateurs. Et les pêcheurs français risqueraient de se voir refuser l’accès aux zones de pêche britanniques en mer du Nord, parmi les plus poissonneuses.

Thierry M. : On entend peu la voix de l’Eire dans tout ce brouhaha. Le pays est-il prêt à remettre en place une frontière avec l’Irlande du Nord ?

Ce n’est pas vrai, le Brexit a été un des grands soucis du gouvernement irlandais dès le lendemain du référendum britannique. Les intérêts de l’Irlande ont été défendus avec acharnement à Bruxelles. Le but est toujours d’éviter le retour de cette frontière en Irlande. C’est ce que prévoit le traité du divorce. S’il n’est pas adopté, en revanche, personne ne sait vraiment comment Dublin et Bruxelles réagiront.

« Sortir de la construction européenne a un coût que les responsables britanniques ne sont manifestement pas prêts à assumer »

Hector : Comment expliquer cette sensation d’amateurisme de la part des Britanniques ? On dirait qu’ils ont découvert les différents problèmes du Brexit au fur et à mesure : Irlande, union douanière…

Les citoyens britanniques ont voté pour toute une série de raisons, maintes fois décortiquées, et sur la foi d’une série de fake news. Il est vrai que l’UE a des défauts, qu’elle s’est éloignée des citoyens, que son fonctionnement est largement incompréhensible, mais le Royaume-Uni y jouissait d’une position très avantageuse : un pouvoir d’influence considérable, un rabais sur le budget de l’UE et l’accès à un marché intérieur de 500 millions de consommateurs. Sortir de cette construction a un coût que les responsables britanniques ne sont manifestement pas prêts à assumer.

Brigitte : Nous allons visiter Jersey et Guernesey mi-mai. Aurons-nous besoin d’un passeport et éventuellement d’un visa ?

Bonne question ! Réponse assez peu satisfaisante, j’en ai peur. Imaginons qu’un miracle se produise : Theresa May parvient enfin, la semaine prochaine, à faire voter l’accord du divorce négocié avec les Européens auprès des députés britanniques. Au 23 mai, le Royaume-Uni ne sera plus un pays membre, mais ce traité ménage une période de transition jusqu’à fin 2020 durant laquelle, pour faire simple, tout reste comme avant sauf que Londres n’a plus son mot à dire à Bruxelles. Vous pouvez partir sans visa.

Imaginons maintenant qu’au 12 avril, Londres n’a pas décidé de participer aux élections européennes, mais a demandé un report long du Brexit, et que les Vingt-Sept l’ont accepté. Cela fait beaucoup de « si » mais vous pouvez encore partir sans souci et sans papiers supplémentaires.

En cas de « no deal »… Choisissez une autre destination ?