Didier Deschamps, à Clairefontaine, le 19 mars. / Christophe Ena / AP

Le sélectionneur de l’équipe de France de football, Didier Deschamps, a convoqué un groupe sans réelle surprise pour affronter la Moldavie, vendredi 22 mars, et l’Islande, lundi 25 mars, dans le cadre des éliminatoires de l’Euro 2020. Ces deux rencontres abordables étaient l’occasion de renouveler un peu l’équipe. L’a-t-il fait suffisamment ? Aurait-il dû aller plus loin ? Deux de nos journalistes débattent de cette question.

  • « Didier Deschamps sait ce qu’il fait et ce qu’il a à faire »

La France compte 65 millions de sélectionneurs. Et Didier Deschamps. Qui s’y connaît un petit peu en football. Pourtant, chaque jeudi (jour d’annonce de sa liste précédant les matchs internationaux) aux alentours de 14 h 10, tombent les mêmes critiques. Pourquoi X et pas Y ? Pourquoi retenir Kurt Zouma et pas Clément Lenglet ? Quid d’Aymeric Laporte ou de Wissam Ben Yedder ? Olivier Giroud, encore lui ?

Comme chaque jeudi, Didier Deschamps a dû défendre ses choix et réfuter, une nouvelle fois, d’octroyer ses faveurs aux champions du monde :

« Je n’ai pas deux groupes : les 23 champions du monde et les autres. Avec mon staff, nous suivons toujours une cinquantaine de joueurs. Il n’y a pas de gratitude comme on a pu le dire ou de passe-droits. Les champions du monde ont un vécu commun, mais ce n’est pas pour ça qu’ils ont des garanties. »

Certes, Aymeric Laporte est un élément essentiel de Manchester City. Certes, Clément Lenglet s’est imposé cette saison dans la défense centrale du FC Barcelone. Les deux joueurs sont promis à un très bel avenir. Mais ils affrontent aussi une féroce concurrence avec Raphaël Varane, Samuel Umtiti et Presnel Kimpembe.

Lenglet et Laporte ont aussi la malchance d’être gauchers, comme Umtiti et Kimpembe, mais contrairement à Zouma. Deschamps avait déjà indiqué en 2016 qu’avoir « au haut niveau deux gauchers [en défense centrale], ce n’est pas quelque chose de viable ». Un argument que l’on respecte, ou du moins que l’on prend en compte, lorsqu’il est avancé par l’un des plus grands palmarès de l’histoire du football.

Deschamps accorde aussi beaucoup d’importance au vécu commun, à la « vie de groupe », son homogénéité. Celle qui fait qu’un joueur, au-delà de ses qualités intrinsèques, sera aussi un atout par son état d’esprit et son implication.

« Il y a un critère, qui n’est certes pas le plus important mais qui pèse, ce sont les aptitudes sociales à pouvoir vivre ensemble, à supporter certaines situations, comme moins jouer ou même ne pas jouer, tout en ayant un caractère de compétiteur. C’est un groupe que je dois former, pas seulement une équipe », a déclaré le sélectionneur à L’Equipe.

Sans avoir disputé la moindre minute lors du Mondial en Russie, Adil Rami a, par exemple, contribué à la conquête du titre. Son expérience, ainsi que celle du gardien de but Steve Mandanda ont servi la jeunesse. Sans avoir marqué le moindre but, Olivier Giroud, avec son profil spécifique, a été un maillon essentiel de la victoire. Il a permis à Kylian Mbappé et Antoine Griezmann de briller.

Connu pour son pragmatisme, Deschamps n’a jamais hésité à écarter certains joueurs ou à en lancer de nouveaux. Depuis son intronisation en 2012, le Basque a testé dans son groupe entre 5 et 8 nouveaux joueurs chaque année en moyenne.

En Russie, la moyenne d’âge des 23 Bleus était de 25 ans et 10 mois, soit la plus jeune génération tricolore engagée dans une compétition depuis vingt ans. Ce groupe est amené à grandir et a encore une marge de progression dans le jeu.

La France peut se targuer de disposer d’un vivier de footballeurs de très haut niveau. Cette abondance de biens laisse forcément des joueurs talentueux sur le bord de la route. Mais Deschamps a déjà prouvé qu’il savait faire les bons choix. Au bon moment.

  • « Il est un peu trop conservateur »

En France, après des années de défaites, le succès des Bleus en 1998, basé sur la solidité défensive, a fait naître une vague de pragmatisme. Déconsidérée, la réputation romantique du footballeur français, moquée, la bande de Michel Platini et d’Alain Giresse qui n’était jamais parvenu à faire mieux que demi-finaliste d’une Coupe du monde. Le plus important est devenu la victoire. La victoire avant tout, dont Didier Deschamps est l’incarnation même.

Il n’est pas question de remettre en cause ses compétences, il les a plus que largement prouvées tant son palmarès est éloquent. Mais a-t-on encore le droit à la critique, fût-elle adressée à des gagnants ? Peut-on regretter certains choix post-sacre 2018 ? Est-il possible de penser que certains champions du monde ont fait leur temps ou vivent en tout cas une saison tellement difficile qu’ils puissent ne plus être sélectionnés ?

Le gardien marseillais, Steve Mandanda, de plus en plus controversé dans son club, mérite-t-il encore sa place en équipe de France ? Olivier Giroud, qui n’a marqué qu’une fois avec Chelsea en Premier league, a-t-il la carte à vie ? Samuel Umtiti, blessé de longue durée avec le Barça, qui n’a joué que deux rencontres depuis décembre, est-il en forme pour jouer des matchs de qualifications ?

Deschamps, au lieu de faire appel à des joueurs qui s’imposent dans les meilleurs clubs européens, comme Clément Lenglet et Aymeric Laporte, fait appel à des revenants comme Kurt Zouma ou Layvin Kurzawa, qui n’ont même pas été champions du monde, sous prétexte qu’ils ont déjà fait partie du groupe.

Ce qu’il se passe en Allemagne peut servir d’avertissement salutaire à la stratégie un poil conservatrice de « la Dèche ». En 2014, la Mannschaft de Joachim Löw a été sacrée championne du monde. L’ossature de l’équipe a été conservée, l’Allemagne se hissant en demi-finale de l’Euro 2016, battue par la France. Mais, en 2018, la sélection allemande, pas assez renouvelée, a vécu un Mondial désastreux, éliminée dès le premier tour par le Mexique et la Suède.

Il a fallu attendre l’humiliation subie, quelques mois après, en Ligue des nations face aux Pays-Bas (défaite 3 à 0) pour que Löw se décide à une vraie révolution en imposant une nouvelle vague de titulaires. « En fait, Löw avait besoin de ce terrible traumatisme pour abandonner sa philosophie du On continue comme ça”, adoptée après la débâcle du Mondial », écrivait le site de la chaîne NTV.

Alors, pour tout ça et pour ne pas connaître le même sort que l’Allemagne – surtout qu’à la différence de l’indéboulonnable Löw on voit mal comment un sélectionneur français pourrait survivre à un Mondial aussi calamiteux –, Deschamps doit montrer son désir d’ouverture. Et porter une plus forte attention aux performances des joueurs méritants.