Eric Lombard (au centre) était invité au Club de l’économie du « Monde », jeudi 21 mars. / Camille Millerand/DIVERGENCE POUR LE MONDE

Le patron du premier financeur des collectivités françaises revient sur sa mission et les moyens considérables dont dispose sa banque des territoires.

« Gilets jaunes » et fracture territoriale Un grand nombre de régions et de territoires vont bien. Les gens sont incroyablement mobilisés, avec un sens de l’intérêt général qui est logique chez un élu ou chez un fonctionnaire mais qu’on trouve énormément dans les entreprises. Ça, c’est la France qui va bien, la France du plein-emploi. Il y a beaucoup d’endroits où les entreprises peinent à recruter. A côté de ça, et parfois de l’autre côté de la rivière ou du département, il y a des endroits dont on ne s’est pas occupé depuis vingt ans. Ce sont des villes moyennes où la politique de la ville ne s’est pas appliquée. C’est un peu ça la France des « gilets jaunes ». Ce sont ces territoires dont on ne s’est pas préoccupé. Mais le mouvement social, c’est quelque chose qui est complexe et qui a plusieurs causes. Dans certains cas, les gens ne sont pas dans la désespérance, mais dans l’impatience. Transport, urbanisme, commerce, habitat, travail, Cela n’arrive pas assez vite.

La Banque des territoires Prenez une ville moyenne. L’élu veut réhabiliter son centre-ville, faire venir des commerces, rénover son logement social, construire une maison de santé. Pour cela, il a besoin d’ingénierie et de capital pour ses sociétés d’économie mixte, par exemple pour racheter les bas d’immeubles et de maisons ou faire du remembrement. Il a besoin d’une foultitude de services qui, en gros, se résument à de l’ingénierie, de l’investissement, du financement. Nous avons tout cela. L’idée de la Banque des territoires, c’est de fédérer ces offres pour qu’il y ait une personne qui, sur chaque territoire, soit porteuse de toutes ces offres vis-à-vis des élus. C’est aussi un signal envoyé aux élus. Quand j’ai rencontré le premier ministre avant d’être nommé, il m’a dit : « Moi, je suis maire depuis neuf ans, je ne sais pas bien ce que fait la Caisse des dépôts. »

Les moyens financiers Chaque année, nous octroyons 15 milliards de prêts nouveaux et je pense que nous pouvons passer à 18. Mon prédécesseur, Pierre-René Lemas, a monté le niveau d’investissement en capital à 700 ou 800 millions d’euros par an, et je pense qu’on peut le porter à 1,5 milliard d’euros. Sur les cinq années qui viennent, la Banque des territoires représentera un investissement total de 100 milliards, dont pas loin de 10 milliards en capital.

Nous ne manquons pas d’argent. Sur un bilan de 440 milliards d’euros, nous avons toute la flexibilité qu’il faut pour faire plus d’investissements et plus de prêts. Nous manquons de projets. Quand il y en a, on les finance. La différence entre les territoires qui vont bien et ceux qui ne vont pas bien, c’est la capacité à monter des projets.

Les participations Dans la Banque des territoires, il y a 1 100 participations dans des sociétés d’économie mixte, qui font des énergies renouvelables, des infrastructures. Le rôle de la Caisse, est d’accompagner ces entreprises jusqu’à un niveau où d’autres acteurs peuvent les accompagner.

Dans le cadre de notre activité « retraites et formation professionnelle », nous gérons 155 milliards d’euros, placés sur les marchés financiers, ce qui fait de nous, souvent, le principal actionnaire de beaucoup d’entreprises françaises avec une vision de long terme. Enfin, nous avons des participations stratégiques, comme Bpifrance, Transdev ou CNP Assurances. On nous parle régulièrement de la cession de la société immobilière Icade. J’ai décidé de la garder. Elle possède 70 hectares, au Sud de la Seine-Saint-Denis et l’équivalent autour d’Orly. Donc il y a un lien avec le développement de ce territoire. Pendant cette phase de développement, je pense que ce n’est pas idiot que la Caisse reste actionnaire de référence.

La Poste Aujourd’hui, nous avons 40,8 % de CNP Assurances. Demain, La Banque postale aura 60 % de CNP Assurances et nous entre 51 % et 65 % de La Poste. La modification de la loi est quasiment acquise. L’idée est de s’appuyer sur cette opération pour renforcer les deux maisons. La Caisse avait toujours eu une relation avec un grand réseau. Avant, c’était les Caisses d’épargne. La Poste est un des services publics français qui a fait la transformation la plus forte avec un courrier qui baisse de 7 % à 8 % par an. Le corps social l’accepte parce qu’il sait que c’est aussi son avenir. Avec CNP Assurances qui va apporter près de 6 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, cela renforce encore la transformation et va accélérer le rééquilibrage.

L’influence de Bercy Nous ne sommes pas sous la tutelle de Bercy, mais sous la protection du Parlement. Je considère que mon job, c’est d’accompagner les politiques publiques dans le respect du mandat de la Caisse et de son autonomie. Quand j’ai été nommé, mes prédécesseurs m’ont dit : « Tu vas voir, l’embêtant, c’est qu’on va t’appeler tout le temps pour te demander des trucs que tu ne pourras pas faire. » Eh bien non, je n’ai pas d’appels de ce genre.