Hugo Lloris le 5 mars à Dortmund, en Allemagne. / WOLFGANG RATTAY / REUTERS

A ceux qui l’encouragent – vainement – à davantage se mettre en avant, Hugo Lloris tient toujours le même discours. « Chacun a sa personnalité : moi, j’aime beaucoup la tranquillité », répète-t-il comme un mantra. Cela fait près d’une décennie que le gardien de but polit son image de capitaine discret et mesuré de l’équipe de France, tout en demeurant une énigme pour le grand public. Et même si son statut a changé depuis le 15 juillet 2018 et la victoire des Bleus en Coupe du monde, au terme de leur épopée russe, pourquoi changerait-il, au fond ?

Hugo Lloris a beau être le second Français, vingt ans après son sélectionneur Didier Deschamps, à avoir soulevé le prestigieux trophée, rien ne le pousse à « ouvrir ». « Ce n’est pas mon penchant naturel. J’ai été élevé dans la pudeur et je suis là pour faire mon boulot du mieux possible », confie au Monde le gardien de 32 ans, qui honorera sa 109e sélection lors du déplacement des Tricolores à Chisinau, en Moldavie, vendredi 22 mars, en ouverture des qualifications à l’Euro 2020. « Pour préserver ma famille, les miens, j’ai toujours dissocié les deux : ma carrière de footballeur professionnel et ma vie d’homme. Je tiens à cette bulle. »

A l’heure où la jeune génération, incarnée par le prodige Kylian Mbappé, se met en scène sur les réseaux sociaux, ce père de deux filles en bas âge, marqué par la disparition de sa mère en 2008, est enclin à rester à la place qui lui convient le mieux : en arrière-plan – même s’il a pu être placé sous le feu des projecteurs, à son corps défendant, après son inculpation pour conduite en état d’ivresse à Londres en août 2018.

« Humilité »

Sur le terrain, depuis ses débuts à l’OGC Nice, en 2005, le portier rechigne à tirer la couverture à lui. Le 6 juillet 2018, à Novgorod, en Russie, les journalistes français ont pu en avoir un aperçu. Tout en retenue, Hugo Lloris a qualifié de « fait de jeu déterminant » son envolée spectaculaire, sur une tête de Martin Caceres, lors du quart de finale du Mondial remporté (2-0) contre l’Uruguay. Une « horizontale » que les observateurs se sont empressés de comparer à « l’arrêt du siècle » réalisé, lors de la Coupe du monde 1970, par l’Anglais Gordon Banks, sur un coup de boule du Brésilien Pelé.

« Cet arrêt, on me le rappelle souvent. Il y a aussi celui contre la Belgique (en demi-finale). Mais le poste de gardien demande beaucoup d’humilité », assure Hugo Lloris, qui porte aussi le brassard de capitaine avec le club londonien de Tottenham, troisième de la Premier League anglaise et qualifié pour les quarts de finale de la Ligue des champions. « Je suis épanoui tant grâce aux performances individuelles que celles collectives. »

Ne lui parlez pas non plus de ses neufs arrêts à Rotterdam, en novembre 2018, qui ont permis aux Bleus d’éviter une déroute contre les Pays-Bas en Ligue des nations (la défaite s’est limitée à un 0-2, synonyme de non-participation au « final four »). Sinon, il s’en tire par une pirouette. « Il y a parfois des mauvais jours, et un joueur sort du lot et parvient à maintenir l’équipe en vie », dit-il modestement.

En club comme en sélection, le trentenaire se moque des hommages, honneurs et récompenses individuelles. Meilleur gardien du Mondial russe, Hugo Lloris a terminé 29e au classement du Ballon d’or, très loin de son compatriote Antoine Griezmann, qui a fini sur la troisième marche du podium. Et en Premier League, malgré ses arrêts décisifs, le public anglais lui préfère d’autres spécialistes du poste, comme le Brésilien Alisson Becker, époustouflant gardien de Liverpool.

« Je suis là pour répondre à mes exigences personnelles, à celles de mes entraîneurs, des supporteurs »

« Il y a de très grands acteurs qui n’ont pas eu d’Oscar dans leur vie. C’est comme ça. Cela ne me dérange pas du tout, je ne cours pas après ça, rétorque-t-il. Je suis là pour répondre à mes exigences personnelles, à celles de mes entraîneurs, des supporteurs. Je ne suis pas là pour essayer de plaire à tout le monde. On va demander à chaque personne son top 3 des gardiens, et le panel sera toujours différent. »

Pete Sampras pour modèle

S’il a admiré des gardiens à la personnalité « plus expansive » que la sienne, comme son prédécesseur chez les Bleus, Fabien Barthez, Hugo Lloris a pioché dans un autre sport, le tennis, pour se trouver un modèle à son image : l’Américain Pete Sampras, discret roi des courts dans les années 1990.

« Sous Sampras, il n’y avait pas les réseaux sociaux, très peu de médias, Internet démarrait. J’aimais ce que dégageait le grand champion et la personnalité qu’il y avait derrière », explique le portier, qui a arrêté de taper la balle jaune à 10 ans pour se consacrer au football.

Hugo Lloris n’a pas eu à forcer sa nature lorsque le sélectionneur Laurent Blanc lui a donné le brassard de capitaine, quelques mois après la grève du bus de Knysna, lors du Mondial 2010, en Afrique du Sud. Qui mieux que ce fils de banquier niçois et titulaire d’un bac scientifique pouvait devenir le très diplomate porte-voix d’une équipe de France alors en lambeaux, conspuée par ses supporteurs ?

« « J’ai toujours eu le sens du devoir. Il faut être dans l’honnêteté, la loyauté »

« J’ai toujours eu le sens du devoir. Il faut être dans l’honnêteté, la loyauté. Se protéger, c’est aussi se dire la vérité, développe-t-il. Je ne me suis jamais considéré comme seul, on est un groupe de cadres. Aujourd’hui, c’est moi qui porte le brassard mais ça pourrait être Raphaël Varane, Blaise Matuidi… Certains sont plus aboyeurs que d’autres. Ce n’est pas mon cas. Je n’aime pas ce terme de “patron”. Je suis avant tout un coéquipier. Quand je pense à “patron”, je pense davantage au propriétaire d’un club, à un actionnaire. »

Le 15 juillet 2018, au moment de brandir la Coupe du monde, Hugo Lloris a éprouvé « de la reconnaissance envers [ses] coéquipiers, qui [lui] ont permis de la soulever ». Cette fois, le gardien était bien obligé d’être sur le devant de la scène.