Zacharie Chasseriaud (Hugo Wagner), Louise Bourgoin (Chloé Antovska), Karim Leklou (Arben Bascha) et Alice Belaidi (Alyson Lévèque), dans la série « Hippocrate » (Canal+), créée par Thomas Lilti. / DENIS ROUVRE / CANAL+

Cinéaste au parcours singulier, Thomas Lilti a exercé comme médecin – jusqu’en 2016 – tout en étant réalisateur de films (Les Yeux bandés, Médecin de campagne, Première année). Membre du jury de Séries mania, le réalisateur et scénariste vient de signer pour Canal+ une déclinaison de son film Hippocrate en série et est en cours de préparation de la seconde saison.

Quelle différence essentielle faites-vous entre un film et une série, vous qui avez créé et réalisé les deux ?

La grande différence, pour moi, et c’est d’ailleurs ce que signifie son nom, c’est que la série est continue, sans fin. Il ne s’agit pas d’un film de plusieurs heures, mais d’une succession d’épisodes, et c’est important. Pour moi, l’essence même de la série, c’est que les personnages continuent d’exister après une première saison. Je prends un plaisir fou à les créer, et j’ai ensuite l’image qu’ils sont là, quelque part, en attente d’intrigues, d’histoires à vivre, d’aventures.

C’est pour cela que je me suis investi dans une deuxième saison d’Hippocrate au lieu de faire un film. Je me suis dit que je ne pouvais pas les abandonner. Je ressens une véritable responsabilité. C’est vrai aussi pour les comédiens : je leur dis souvent que non seulement ils vont être de la saison 2, mais même qu’ils doivent en être, car eux aussi sont responsables de leurs personnages.

Vous voilà donc embarqué pour plusieurs saisons…

Oui, j’estime de mon devoir de faire autant de saisons que possible. J’ai créé une série, donc oui, ce sera sans fin. Sinon, je n’avais qu’à pas la faire ! Je sais, bien sûr, que tout peut s’arrêter demain mais, a priori, ce ne sera pas de mon fait. Autrement, ça n’a pas de sens. Je ne comprends vraiment pas que l’on conçoive une série en se disant qu’elle ne durera qu’une saison.

On dit souvent qu’un film crée un récit, quand la série crée un univers. Et que la série s’appuie sur des personnages plus que sur des intrigues. Qu’en pensez-vous ?

Je ne crois pas trop à cette différence. Pensez au Parrain, parmi tant d’autres grands films dans l’histoire du cinéma : se souvient-on plus des intrigues, ou des personnages ? Et ça peut être l’inverse avec une série.

L’air du temps fait que les séries marquantes sont de grandes séries de personnages. Et on constate, depuis quelques années, que les films de cinéma tendent de moins en moins vers la chronique, privilégiant une intrigue forte avec un point de départ musclé. C’est un peu le diktat du moment. Mais attention à l’effet loupe : c’est ce que l’on voit actuellement, cela peut changer.

Comment est née votre série « Hippocrate » ?

De l’envie de parler de l’hôpital du point de vue des soignants, et notamment des jeunes médecins, pour faire un constat à la fois réaliste et ludique. Le film avait reçu un petit écho positif au Festival de Cannes, en mai 2014, et alors qu’il sortait en salle, en septembre, Canal+ appelait mes producteurs pour que j’adapte mon film en série.

Aviez-vous déjà une idée claire de ce que serait cette série par rapport au film ?

Je savais surtout ce que je ne voulais pas. Pas de héros exceptionnel ou borderline à la Dr House, pas d’antihéros, mais des personnages de la vie de tous les jours, plutôt ordinaires. Cela dit, pour assumer cette chronique, je me suis vite rendu compte qu’il fallait un point de départ un peu extraordinaire : d’où la mise en quarantaine des médecins titulaires d’un service hospitalier, qui laisse les internes seuls aux commandes. Ça a plu à Canal+, et on a signé l’écriture. Mais on ne savait absolument pas où on allait !

Comment vous êtes-vous organisé ?

Contrairement à une idée reçue, on a avancé comme on écrit un film, avec les outils de l’écriture d’une série, mais en naviguant souvent à vue.

Dès le départ, j’avais à mes côtés mon frère Julien Lilti, qui avait un peu participé au scénario du film. Et, dès que nous avons eu l’accord de Canal+, j’ai inventé ma méthode en m’inspirant de celle des autres. J’ai constitué un pool d’auteurs, une sorte d’atelier d’écriture, surtout parce que l’on dit qu’il faut faire comme ça. Aujourd’hui, je suis pourtant convaincu qu’il y a un milliard de façons d’écrire une série, qu’il n’y a pas de règle. Je pense qu’il est inutile de copier les autres : s’en inspirer peut-être, mais le mieux est avant tout d’inventer sa propre méthode.

Ni modèle ni règle, donc ?

Je ne vois qu’une seule règle, si on veut faire quelque chose qui ait une vraie ambition artistique : il faut une pièce maîtresse, quelqu’un qui a la vision de la série, qui porte tout le projet sur ses épaules et qui soit le référent pour tout le monde, auteurs, producteurs, diffuseur. Et, à mon avis, il est indispensable que cette personne soit un auteur.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le festival Séries mania, du 22 au 30 mars, à Lille. Seriesmania.com