Une affiche de campagne du président sortant Azali Assoumani, à Moroni, capitale de la Grande Comore, le 17 mars 2019. / GIANLUIGI GUERCIA / AFP

L’élection présidentielle anticipée aux Comores, dont le premier tour doit se tenir le dimanche 24 mars, est loin de faire l’unanimité dans cet archipel de l’océan Indien. Le président sortant Azali Assoumani y est accusé par l’opposition de faire un « coup d’Etat institutionnel ».

Elu à la présidence en 2016, M. Assoumani avait créé la surprise en 2018 en annonçant un référendum de la Constitution. Le scrutin aux allures de plébiscite (92,74 % de « oui » avec un taux d’abstention de 37,1 %) a renforcé les pouvoirs du président, en l’autorisant à effectuer deux mandats successifs au lieu d’un, et a mis un terme à une autre règle phare de la vie politique comorienne. Depuis 2001, la présidence était attribuée tous les cinq ans à un représentant de l’une des trois îles du pays (Grande Comore, Anjouan et Mohéli). Ce système consensuel avait permis de ramener le calme dans ce pays de 800 000 habitants, secoué par des coups d’Etat à répétition et des crises séparatistes depuis son indépendance de la France en 1975.

« A présent, les Comoriens sont réunis, et aucun pays au monde n’a un seul mandat de cinq ans. Cela ne permet pas au président de donner de vrais résultats et de répondre à un devoir d’excellence », s’est justifié M. Assoumani dans une interview accordée au Monde Afrique. A 60 ans, cet ancien putschiste est quasiment assuré de l’emporter car, si treize candidats doivent participer au scrutin, la Cour suprême comorienne a rejeté les candidatures de ses deux principaux opposants, Mohamed Ali Soilihi, dit « Mamadou » – aujourd’hui chef de l’Union de l’opposition qui regroupe une dizaine de partis –, et Ibrahim Mohamed Soulé, candidat du parti Juwa.

« Nous vivons dans une dictature »

De quoi susciter une levée de boucliers. « Le seul objectif d’Azali Assoumani est de se maintenir au pouvoir ! », déplore Nadia Tourqui, membre du Collectif de la troisième voix et figure phare de la société civile. « La loi n’a pas été respectée. Azali est un habitué des coups d’Etat. Là, c’est un coup d’Etat institutionnel », s’insurge quant à lui le colonel à la retraite Soilihi Mohamed dit « Campagnard ». Pour lui, « la dérive autoritaire est là : on recommence à avoir des prisonniers politiques, des personnes en résidence surveillée. On pensait ce temps révolu. Nous vivons dans une dictature ».

Depuis le référendum de juillet 2018, le climat s’est singulièrement dégradé. En octobre, des affrontements ont opposé l’armée à des manifestants hostiles au régime du président Assoumani – lui-même issu de la Grande Comore – dans les rues de Mutsamudu, la capitale de l’île d’Anjouan. C’est de cette île que devait être issu le prochain président, selon l’ancienne Constitution. Dans les jours qui ont précédé le lancement de la campagne électorale le 22 février, deux journalistes de Facebook FM, un média local, ont été arrêtés. Et les manifestations en soutien aux deux embastillés interdites.

Des faits dont se défend le chef de l’Etat. « La décision de la Cour suprême d’invalider des candidatures est hors de mon champ de compétence, a-t-il rappelé au Monde Afrique. Et il n’y a pas eu de manifestations interdites ni de journalistes emprisonnés. Les deux personnes arrêtées n’étaient pas des journalistes encartés. Sur les treize candidats à l’élection, douze sont des opposants. Je crois que l’opposition n’est pas en reste… »

Instabilité chronique

C’est dans ce climat que se profile le scrutin. « On craint des élections truquées, alerte Mohamed Soilihi, un des douze candidats de l’opposition, dont onze se sont organisés en collectif pour exiger un scrutin crédible et transparent. « Tout sauf Azali, c’est le mot d’ordre, y compris auprès dans la société civile. » Pour Mahamoudou Ahamada, le candidat du parti Juwa et avocat de l’ex-président Ahmed Abdallah Sambi, placé en détention provisoire depuis plus de six mois, la victoire de M. Assoumani n’est pas assurée car « les Comoriens ne lui font plus confiance. Je ne vois pas comment il peut alors gagner ces élections au premier tour. »

Pour éviter de reproduire le scénario chaotique de 2016, le président a convié des observateurs internationaux qui seraient « déjà là », assure-t-il. Une information que conteste vivement l’opposant Mahamoudou Ahamada, qui souligne que « le gouvernement fait tout pour qu’il n’y ait pas le moindre observateur aux Comores le 24 mars. » L’Union européenne (UE), qui n’a pas prévu d’envoyer une mission d’observation, a financé un soutien à l’observation électorale par la société civile comorienne. Or, aucun des 800 observateurs locaux qui ont bénéficié de la formation de l’UE n’a pu obtenir d’accréditation.

L’instabilité chronique n’arrange rien à la situation dans ce pays où près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté au sein d’un archipel qui ne manque pourtant pas d’atouts. L’agriculture, la pêche et le tourisme représentent de forts potentiels, mais les Comores sont toujours dépendantes des importations et le commerce est au point mort. Tandis que les écarts de niveau de vie, d’accès aux soins et aux équipements publics se creusent toujours un peu plus. « Rendez-vous compte, nous sommes un archipel et nous importons du poisson. Nous bénéficions d’aides extérieures, mais nos dirigeants font tout capoter », regrette l’opposant Mohamed Soilihi. Les aides internationales sont soupçonnées d’être détournées et la diaspora, concentrée principalement en France, où vivent entre 150 000 et 300 000 Comoriens selon la Banque mondiale, maintient à bout de bras le pays.

« Manipulations »

Ce fossé économique a contribué à creuser davantage la fracture sociale. Le gouvernement, lui, met en avant le taux de croissance, qui augmente depuis 2016 et avoisine aujourd’hui les 3 %. « Les indices sur la corruption et sur la pauvreté battent des records, mais le gouvernement prétend que ça va mieux. Comment peut-on dire que les résultats économiques sont satisfaisants ? », s’interroge le candidat Mahamoudou Ahamada. Dans ce contexte, Mayotte, à quelque 100 kilomètres de là, apparaît pour beaucoup comme le dernier recours, et des milliers de personnes risquent leur vie sur des bateaux de fortune pour tenter de rejoindre l’eldorado mahorais.

Même à l’intérieur du pays, des divisions déchirent le peuple. A Anjouan et Mohéli, où sont nées des frustrations, les habitants reprochent aux dirigeants de concentrer leurs efforts de développement sur la Grande Comore, délaissant les deux autres îles. « L’idée d’une domination de la Grande Comore sur les autres îles est le fruit de manipulations, se défend le président Azali Assoumani. Des Anjouanais, qui avaient des hauts postes à Moroni [la capitale, située sur l’île de la Grande Comore] et ont été démis de leur fonction, sont les auteurs de ces manipulations, ajoute-t-il, faisant fi du risque de chaos auquel est confronté ce pays déjà en proie à de vives tensions.