Manifestations d’étudiants contre le réchauffement climatique, le 22 mars à Paris. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

En traversant, fin février, le parc naturel du Vercors, terrain privilégié pour observer la nature, Justine Renard a remarqué avec stupéfaction des « papillons citron et des bourgeons qui commençaient à s’ouvrir ». Cette professeure de sciences de la vie et de la terre (SVT), qui enseigne au lycée international de Grenoble, se dit « de plus en plus inquiète » des signes évidents du dérèglement climatique mais aussi, et surtout, de son rôle et de sa responsabilité en tant qu’enseignante.

« Je m’interroge sur ce que je dois dire à mes élèves de seconde et de première, confie-t-elle. A aucun moment les programmes ne permettent de comprendre qu’un ensemble de crises est en train de converger, encore moins d’en saisir la gravité et les conséquences pour nos sociétés. » Justine Renard, 28 ans, fait partie du collectif des « enseignants pour la planète », créé fin janvier pour préparer la journée de grève scolaire mondiale pour le climat qui s’est tenue le 15 mars et a mobilisé 1,4 million de jeunes dans le monde.

Depuis plusieurs mois, l’inquiétude des professeurs, en particulier ceux du secondaire, s’amplifie, relayée par des scientifiques et des chercheurs. « Le temps consacré à l’enseignement en relation avec les deux enjeux vitaux à l’échelle planétaire, l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique, apparaît très insuffisant au collège comme au lycée », alertent 350 experts, parmi lesquels la climatologue Valérie Masson-Delmotte, dans une lettre publiée par Mediapart en décembre 2018.

« Quand je me dis que 700 000 jeunes ont leur bac chaque année sans les clés pour comprendre le dérèglement climatique et comment y faire face, j’ai un sentiment d’échec très profond », confie l’experte du climat. « Réaliser ces enjeux à 25 ans, c’est bien, mais c’est trop tard », assure celle qui considère qu’un apprentissage « approfondi et régulier » depuis le plus jeune âge est essentiel pour être « armé face aux “fake news” ou au climatoscepticisme ».

Portion congrue

De fait, le sujet est abordé de façon très inégale dans les programmes scolaires. Depuis la réforme du collège de 2016, les professeurs délivrent quelques cours sur la variabilité naturelle du climat, les grandes glaciations ou la différence entre météo et climat.

« On évoque la cause anthropique du changement climatique à l’œuvre mais très vaguement les gaz à effet de serre », reconnaît Serge Lacassie, le président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie, qui enseigne lui-même la SVT en lycée à Annecy. Au lycée, après une première approche en seconde avec les cycles du CO2, l’enjeu du changement climatique et de ses causes est enseigné en détail en terminale, mais seulement pour les élèves qui préparent un bac scientifique spécialité SVT.

Avec la réforme du baccalauréat, les enseignants s’inquiètent que le climat reste limité à la portion congrue dans les nouveaux programmes de lycées, qui doivent entrer en vigueur en 2019 et 2020. Rien n’apparaît sur le sujet en seconde. En première, « seul le bilan d’énergie de la Terre est abordé de façon théorique, comme on aurait pu le faire dans les années 1970 », note Valérie Masson-Delmotte.

C’est en terminale, au cours de l’enseignement commun scientifique, que l’enjeu du changement climatique doit normalement être développé. Le programme, en cours d’élaboration par un groupe d’experts, devrait être examiné et voté en mai et juin par les membres du Conseil supérieur des programmes. Selon les participants à une réunion de travail qui s’est tenue le 19 mars, un tiers de cet enseignement, soit deux heures par semaine, pourrait être consacré à la thématique « climat et société ».

« Décloisonner les disciplines »

« On a sauvé les meubles in extremis, mais il manque une vision d’ensemble. C’est loin d’être satisfaisant. Quant au collège, c’est le parent pauvre en matière de climat », déplore David Wilgenbus, directeur de l’Office for Climate Education, une organisation chargée de promouvoir et développer l’éducation au changement climatique. Finalement, « c’est à l’école primaire que les projets de sensibilisation sont les plus intéressants », juge-t-il.

Ces critiques se font entendre dans de nombreuses disciplines. La question du réchauffement climatique relève en effet tant des SVT que de la physique, de l’économie, de l’histoire-géo, voire de la philosophie…

« Le climat est un sujet complexe, qu’il faut penser de façon systémique en décloisonnant les disciplines », explique Pierre Lena, astrophysicien et membre de l’Académie des sciences qui participe à l’élaboration du programme scientifique de Terminale.

Diane Granoux, professeure d’histoire-géographie au lycée Eugène Henaff à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), estime que la situation « va empirer » avec les nouveaux programmes, notamment en géographie. « Pour les élèves de seconde c’est carrément un retour en arrière. Il y a un chapitre intitulé “la forêt amazonienne : un environnement fragile soumis aux pressions et aux risques”, dans lequel on oublie de dire que les pressions viennent de l’activité humaine », s’indigne l’enseignante. Autre exemple : le chapitre consacré aux mobilités. « Pourquoi les migrations liées au climat n’apparaissent pas, alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses et vont augmenter dans les années à venir ? », s’interroge-t-elle.

Mieux informer les jeunes sans les désespérer

Le ministère de l’éducation nationale répond que les nouveaux programmes contiennent au contraire les notions clés pour comprendre le réchauffement climatique. « L’institution scolaire a fait beaucoup du point de vue de ses contenus, autant qu’elle le pouvait », estime Souâd Ayada, la présidente du Conseil supérieur des programmes.

Dans l’enseignement supérieur, la situation est différente. Chaque établissement, université ou école maîtrise son offre de formation et les cursus en développement durable existent depuis une dizaine d’années. Certains étudiants voudraient malgré tout aller plus loin, et intégrer de manière systématique cette approche dans tous les cursus.

Victor François, élève ingénieur en troisième année à l’Ecole polytechnique et président de l’association de développement durable, propose que des cours d’introduction au changement climatique soient dispensés dès le début de leur formation, sans attendre les enseignements de spécialité en troisième année. « Nous avons depuis le mois de septembre [2018] organisé des conférences optionnelles sur le climat, qui ont eu un certain succès, pour combler les manques dans les programmes », explique-t-il.

Mégane Laurent, en 2e année à AgroParisTech, regrette, elle, que les cours sur le développement durable soient « très axés sur l’ingénierie », et « pas assez sur les enjeux environnementaux actuels » tels que les comptes rendus des conférences mondiales sur le climat ou la mobilisation citoyenne sur le climat.

Tout l’enjeu est de mieux informer les jeunes sans les désespérer, prévient Pierre Lena. « Il y a un risque pour les enseignants car les faits et les chiffres qu’on leur présente sont déjà sources d’anxiété. Les jeunes peuvent être dans l’émotion plus que dans le raisonnement. Il faut leur donner les clés pour penser ce problème, ce que les Américains appellent “A critical eye and hopeful heart” [un œil critique mais un cœur plein d’espoir] ». Diane Granoux a trouvé une façon de répondre à ses élèves anxieux : « A ceux qui se montrent angoissés de la fin du monde, je leur réponds que c’est seulement la fin d’un monde. »