Une manifestation en 2008 devant le parlement britannique à Londres. / ANDREW WINNING / REUTERS

France Ô, dimanche 24 mars à 14 h 25, documentaire

En plein cœur de l’océan Indien, l’archipel des Chagos offre une situation stratégique au carrefour de l’Asie du sud-est, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Les trois îles principales, Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia, sont habitées par des descendants d’esclaves amenés par des colons français au XVIIIe siècle pour y cultiver la noix de coco. Ou plutôt, étaient habitées. En 1814, les Chagos sont devenus britanniques. Dans les années 1960, les Etats-Unis jettent leur dévolu sur l’atoll de Diego Garcia pour y construire une base militaire. Un bail de cinquante ans est négocié secrètement avec les Britanniques. Le contrat est signé le 31 décembre 1966, pour 14 millions de dollars, sans que le Parlement ait son mot à dire. Les quelque 2 000 « îlois » sont progressivement chassés de l’archipel avant que les derniers habitants soient déportés de force. Depuis, la loi britannique interdit aux Chagossiens de rentrer chez eux.

« C’était un jeudi, le 7 décembre 1972. C’est là que le cauchemar a commencé, raconte en vieux créole cet exilé de la première génération. Nous, les enfants, on jouait dans la case. Ma mère cuisinait le repas. Des militaires anglais sont arrivés. Ils sont entrés et nous ont crié “dehors”. Ils étaient armés de fusils à baïonnette. Nous avons marché jusqu’au port. Les Américains ont donné à manger à nos chiens. La nourriture était empoisonnée. Mais nos chiens ne l’ont pas mangée. Alors les soldats nous ont obligés à attraper nos chiens. Ils ont ouvert la porte du grand fourneau où on faisait l’huile de coco. Ils ont dit “allez, tous les chiens là-dedans.” Ils ont envoyé du gaz et ils ont refermé la porte. »

Embarqués sur des cargos, à fond de cale, à côté du bétail, sans qu’ils sachent où ils étaient conduits, certains sont débarqués aux Seychelles, d’autres à l’île Maurice, les familles sont dispersées. Plusieurs milliers de Chagossiens vivent aujourd’hui dans ces deux Etats de l’océan Indien ainsi qu’au Royaume-Uni, où un millier d’entre eux ont pu s’installer à partir de 2002 en obtenant un passeport britannique. Mais, pour la majorité de cette diaspora, demeure l’espoir de retourner au pays.

Perdu dans un pays qui n’est pas le sien

« Let us return », c’est le slogan qui rallie ces « oubliés » de la couronne britannique. Depuis leur expulsion de leurs terres, confisquées par l’armée américaine, les Chagossiens ont engagé plusieurs recours judiciaires pour obtenir le droit au retour. Sabrina et son père, Serge-Aristide, vivent à Crawley, dans le nord de l’Angleterre. Le regard de ce dernier s’égare dans ses lointains souvenirs. Lui-même est encore perdu dans ce pays qui n’est pas le sien. Heureusement, Sabrina est là pour s’occuper des démarches administratives et suivre son dossier médical.

Elle est aussi une des porte-parole de la lutte engagée sur tous les terrains, même sportif. La jeune mère de famille a réussi à monter une équipe de football et à récolter suffisamment de fonds pour qu’elle participe à la Coupe du monde de football des micronations et apatrides qui s’est tenue en 2016 en Abkhazie, ce qui lui a permis de faire connaître leur combat et leurs revendications.

« Let us return », c’est le slogan qui rallie ces « oubliés » de la couronne britannique

Le gouvernement britannique, cependant, continue de s’opposer à la réinstallation des Chagossiens sur leurs terres. En 2010, le Royaume-Uni décide unilatéralement de créer une aire maritime protégée autour de l’archipel, à l’exception de Diego Garcia, sous le prétexte de protéger l’environnement marin. Un câble diplomatique provenant de l’ambassade des Etats-Unis à Londres et révélé par Wikileaks montrera qu’il s’agit en fait de rendre impossible le retour des habitants en les privant de leur principale ressource alimentaire, la pêche.

En 2016, le prêt de Diego Garcia aux Etats-Unis a été reconduit pour vingt ans. L’espoir des Chagossiens repose désormais sur la bataille juridique engagée par les autorités mauriciennes pour contester la souveraineté britannique sur l’archipel. Le 25 février, un avis consultatif de la Cour internationale de justice leur a donné raison. Sabrina et les siens n’ont pas perdu tout espoir.

Les Oubliés de sa majesté, d’Olivier Magis (Fr., 2018, 55 min). Rediffusions jeudi 28 mars à 9 h 45 et lundi 1er avril à 9 h 45. www.france.tv/france-o