Editorial du « Monde ». Trop, c’est trop. Les catholiques de France n’occupent pas les sacristies de leurs églises, mais la colère gronde dans la communauté. Une accumulation de scandales liés à la sexualité a fait déborder la coupe. Les affaires de pédophilie ont provoqué une déflagration au sein de toute l’Eglise, avec le défrocage d’un ancien cardinal américain et la condamnation à six ans de prison du numéro 3 australien du Vatican, tous les deux mis en cause pour agression sexuelle sur mineur.

La décision du pape François, le 19 mars, de refuser la démission du cardinal Barbarin, condamné le 7 mars à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les actes pédophiles commis par un prêtre dans son diocèse, a donné l’image calamiteuse d’une institution qui cherche d’abord à se protéger, loin de la « tolérance zéro » affichée.

Autant de faits qui sont survenus au moment où le nonce apostolique en France – le représentant du pape – était mis en cause dans une affaire d’atteinte sexuelle et, plus grave encore, où un documentaire diffusé sur Arte révélait l’ampleur des viols de religieuses par des prêtres, certaines sœurs étant ensuite obligées d’avorter.

Ni débat ni dialogue

De l’accablement à l’écœurement, en passant par la honte, l’humiliation, la stupeur, les catholiques français ne se retrouvent plus dans leur Eglise et se défient d’une hiérarchie qu’ils jugent de plus en plus autiste.

Parmi les témoignages de catholiques pratiquants que Le Monde a recueillis, qui traduisent la tristesse, la révolte ou le sentiment d’avoir été trahi, un fidèle qui a participé à La Manif pour tous contre le mariage homosexuel ne se remet pas d’avoir découvert qu’un prêtre qui a accompagné son parcours spirituel a fait de la prison pour attouchements sexuels : « Les évêques sont perdus, confie-t-il, les prêtres sont perdus, les laïcs sont perdus et on ne se rencontre pas. » Il n’y a ni débat ni dialogue.

Ces maux frappent une Eglise de France déjà bien malade. Si 53 % des Français se déclarent catholiques, d’après les statistiques les plus récentes, la pratique religieuse est en baisse constante, avec seulement 4,5 % des fidèles qui se rendent à la messe au moins une fois par mois, ce chiffre n’étant que de 1,8 % pour ceux qui y vont chaque dimanche.

La question du célibat de prêtres

Le nombre de prêtres catholiques est passé, selon les chiffres officiels, de 28 694 en 1995 à 21 187 en 2005. Parmi eux, la majorité a plus de 65 ans. Les ordinations sont en chute libre : on en a recensé officieusement 114 en 2018, contre 133 en 2017, mais elles s’élevaient à 300 par an dans les années 1970. Un nouveau prêtre sur cinq serait issu d’une communauté traditionaliste. Avec la crise actuelle, on peut craindre que les catholiques les plus progressistes, ceux qui étaient attachés au concile de Vatican II, soient les premiers à s’éloigner de l’Eglise.

Pour beaucoup de catholiques, c’est tout le système ecclésial qu’il faut changer afin de créer une culture de la discussion et donner plus de place aux laïcs, et d’abord aux femmes, qui s’impliquent davantage, à tous les niveaux où se prennent les décisions.

La crise fait aussi resurgir la question du célibat de prêtres. C’est au XIe siècle que la réforme du pape Grégoire VII a décidé que l’Eglise n’ordonnerait plus les hommes mariés. L’archevêque de Poitiers, Mgr Pascal Wintzer, vient d’évoquer favorablement l’idée de revenir sur cette règle. Le débat ne pourra pas être éternellement éludé.