Une rumeur accusant des Roms d’enlèvements d’enfants en Ile-de-France a circulé sur les réseaux sociaux ces derniers jours. / Martin Meissner / AP

« Tentative d’enlèvement à Lognes, toujours le même mode opératoire, camionnette blanche avec trois Roumains costauds. Ils sont chez nous attention à vos enfants. » Ce message, publié mercredi 27 mars sur Facebook, ressemble à beaucoup d’autres qui ont circulé en ligne ces derniers jours. Sur Facebook, Snapchat ou encore Twitter, la rumeur évoque « des vagues d’enlèvement de gosses », un réseau de « prostitution » et de « trafic d’organes » dans différentes villes d’Ile-de-France.

Résultat : des Roms ont été victimes d’agressions ces derniers jours en Seine-Saint-Denis, où dix-neuf personnes ont été placées en garde à vue dans la nuit de lundi à mardi, selon le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Lundi, la préfecture de police de Paris avait déjà annoncé que « deux personnes ont été injustement accusées puis lynchées », dénonçant une « fausse information ». Avant d’ajouter le lendemain :

« Les rumeurs de kidnapping d’enfants avec une camionnette sont totalement infondées. Aucun enlèvement n’est avéré. Ne relayez plus cette fausse information, n’incitez pas à la violence. »

Car si parmi les messages relayant cette rumeur, beaucoup restent vagues et se contentent d’appels à la prudence, d’autres encouragent au contraire à mener des opérations contre les prétendus kidnappeurs. Avec, dans certains cas, des éléments d’identification à l’appui.

Sur Snapchat notamment, des images de camionnettes, dont la plaque d’immatriculation est bien visible, circulent. L’une montre même les deux occupants d’un véhicule, parfaitement reconnaissables, avec une légende accusant l’un d’entre eux d’enlever des enfants. Une vidéo, initialement diffusée sur Snapchat puis relayée sur d’autres plates-formes, désigne, elle, une camionnette rouge. Son auteur y affirme « avoir trouvé le fils de pute qui vole des enfants » et interpelle ses contacts : « Venez tous ! »

Dans la plupart des cas, les messages relayant la rumeur incitent les internautes à « faire tourner ». « Ceci n’est pas une fake news », affirme l’un. « Quand il y a des “bucket challenges” ou des challenges à deux balles, tout le monde partage, là c’est quelque chose de très sérieux, faites tourner l’information partout », exhorte un autre qui se filme face caméra.

Les réseaux sociaux pointés du doigt

Ces rumeurs, qui ont débouché sur des agressions ces derniers jours, ont donc pour principal terrain de diffusion les réseaux sociaux. Ce qui offusque l’association SOS Racisme, qui a interpellé ces plates-formes mardi :

« Nous appelons donc Twitter, Snapchat, Facebook et [le forum] Jeuxvideo.com à leurs responsabilités ! Des vies sont en jeu, vous devez supprimer les contenus haineux et démentir les rumeurs. »

Gilles Le Gendre, chef de file des députés La République en marche, a lui aussi dénoncé les réseaux sociaux, mercredi sur Franceinfo. Il s’est dit « très favorable » à ce qu’ils puissent être sanctionnés financièrement dans ce type de situation. « Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont une puissance de feu inouïe qui permet à n’importe qui, sous pseudo, de mettre en cause n’importe qui, n’importe quelle personne, n’importe quelle communauté, en racontant n’importe quoi », a-t-il déploré, réclamant qu’ils se « donnent les moyens d’être très transparents sur ces sujets-là ».

Cette affaire résume bien le problème complexe auquel sont confrontées les grandes plates-formes concernant la circulation de fausses informations. Depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016, au terme d’une campagne marquée par des opérations de désinformation, elles avaient fini par prendre le problème au sérieux, sans pour autant y apporter de solution définitive.

Car la question est délicate. Est-ce le rôle des réseaux sociaux de supprimer les rumeurs et fausses informations ? Est-ce à eux de décider ce qui relève de la vérité ou du mensonge ? Facebook, le plus grand réseau social au monde, répond catégoriquement non. Il a préféré nouer des partenariats avec des médias de différents pays (dont Le Monde), qui vérifient certains des contenus circulant sur la plate-forme. Facebook ne supprime pas ceux identifiés comme trompeurs, mais signale aux personnes souhaitant les partager qu’ils sont contestés, et limite leur visibilité.

Mais ce dispositif ne peut pas s’appliquer à l’intégralité des contenus publiés par les 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels de Facebook – et donc aux nombreux contenus sur les enlèvements d’enfants.

« Les messages haineux sont toujours en ligne »

Toutefois, les messages relayant cette rumeur ne relèvent pas tous de ce problème d’infox. Certains sont des appels à la violence, des menaces ou des messages de haine à l’égard de la communauté rom. Ce qui est interdit par les grands réseaux sociaux – et par la loi.

Encore faut-il que ces contenus soient signalés par des utilisateurs : si personne ne le fait, alors ils ne seront pas examinés par les modérateurs de ces plates-formes, ni supprimés. Or beaucoup des messages relayant cette rumeur l’ont été dans un cercle relativement restreint. Par exemple, les contenus publiés sur Snapchat ne sont pas publics, et sont uniquement visibles des abonnés des auteurs, ce qui limite la probabilité que ces messages soient signalés.

Cette explication, toutefois, ne suffit pas, et ne saurait exempter les réseaux sociaux de responsabilité. Car même en cas de signalement, certains sont pris en défaut, dénonce SOS Racisme :

« Hier, nous avons effectué des signalements auprès de Twitter, Facebook, Jeuxvideo.com et Snapchat. Ce matin, les messages haineux sont toujours en ligne sur Facebook, trois contenus seulement ont été supprimés sur Twitter et les deux autres n’ont pas répondu ! »

Les cas dramatiques de l’Inde et de la Birmanie

Ce n’est pas la première fois que les réseaux sociaux, et notamment Facebook, sont confrontés à des rumeurs mettant en péril l’intégrité physique ou la vie de personnes. En Inde, des dizaines de personnes avaient été lynchées l’an dernier après des rumeurs sur des enlèvements d’enfants, qui circulaient notamment sur WhatsApp – une application appartenant à Facebook et extrêmement utilisée dans le pays. Avec une difficulté supplémentaire : les messages étant privés et chiffrés sur l’application, WhatsApp n’est pas en mesure de les lire, et donc de repérer les appels à la violence. Le service avait, pour répondre à ce problème, modifié son système pour limiter le transfert de messages à grande échelle.

Facebook avait également été accusé l’an dernier par l’ONU d’avoir joué un rôle « déterminant » dans la diffusion de messages racistes et d’appels à la violence contre les Rohingya, cette minorité ethnique majoritairement musulmane cible de massacres en Birmanie. Des rumeurs avaient notamment accusé des Rohingya d’avoir violé des femmes bouddhistes.