Le vote sur la directive droit d’auteur à Strasbourg, le 26 mars. / VINCENT KESSLER / REUTERS

La directive sur le droit d’auteur, définitivement adoptée mardi 26 mars après deux années de bataille rangée entre médias et ayants droit d’un côté, entreprises des nouvelles technologies et défenseurs des libertés numériques d’autre part, est-elle vraiment un texte sur le droit d’auteur ? Pour la presse économique américaine, pas vraiment : le texte, qui prévoit des restrictions nouvelles pour les plates-formes comme YouTube ou Facebook et crée un « droit voisin » pour les articles de presse en limitant drastiquement leur droit de citation, est avant tout une bataille de plus dans le conflit qui oppose la « big tech » et les régulateurs européens.

« Les motivations derrière ce texte – la régulation par l’UE des grandes plates-formes – ne pourraient pas être plus claires », écrit ainsi Fortune. « La Commission européenne a affirmé immédiatement après le vote que cette nouvelle loi faisait partie d’un réseau plus vaste de règles que l’Europe veut imposer sur Internet. » Pourtant, si le texte vise avant tout des entreprises américaines, le très pro business Financial Times salue, dans un éditorial, « une réforme trop longtemps attendue », qui constitue « une étape importante pour reprendre le contrôle sur les grandes entreprises du Web. »

« Aujourd’hui, le Web ne semble plus vraiment mondial »

Forbes souligne de son côté les nombreuses inconnues du nouveau cadre légal, qui doit être transcrit dans le droit national des pays de l’Union d’ici à deux ans, et s’interroge sur les conséquences concrètes que pourrait avoir le vote en dehors de l’UE.

« N’oublions pas que nous parlons du World Wide Web – qui est par définition mondial. La directive sur le droit d’auteur peut avoir un impact aux Etats-Unis et partout ailleurs également, tout comme le Règlement européen pour la protection des données [que certaines entreprises ont décidé d’appliquer mondialement] en a eu – et ses conséquences concrètes restent un grand point d’interrogation. »

Une interrogation que l’on peut aussi lire en filigrane dans la presse britannique, qui se fait largement l’écho de la satisfaction de l’industrie du disque nationale, mais où la directive ne sera vraisemblablement jamais transcrite dans le droit national en raison du Brexit.

La presse américaine spécialisée dans les nouvelles technologies craint, elle, que ses conséquences soient drastiques. Dans sa newsletter pour le site The Verge, Casey Newton dit craindre une fragmentation du Web :

« Internet était jusqu’à présent divisé en deux : le Web ouvert, accessible dans la plupart des pays, et le Web autoritaire de pays comme la Chine, qui est séparé et étroitement surveillé. Aujourd’hui, le Web ne semble plus vraiment mondial. A la place, nous avons l’Internet américain, l’Internet autoritaire, et l’Internet européen. »

Moins outranciers, d’autres sites spécialisés notent, comme Quartz l’écrivait déjà au début de mars, que le texte pourrait aussi et surtout renforcer la position dominante de YouTube ou Facebook, qui appliquent déjà une partie des nouvelles obligations votées par les eurodéputés.

« Relations endommagées entre élus et citoyens »

Le Washington Post souligne le rôle particulier de la France, qualifiée de « gardienne de la culture européenne », dans l’adoption du texte – soutenue par le gouvernement, la directive a été votée par la quasi-totalité des eurodéputés français, alors que les députés allemands se sont divisés par partis, la droite votant pour, la gauche contre. La presse allemande, qui s’est fait l’écho des manifestations ce week-end des opposants à la directive dans les grandes villes du pays (40 000 manifestants à Munich, selon la police), regrette un débat qui a fait « des victimes collatérales », comme le résume la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le quotidien de gauche avait révélé ces derniers jours l’existence de tractations entre a France et l’Allemagne sur ce dossier, la France ayant proposé, selon lui, de soutenir la position allemande sur le gazoduc Nord Stream 2 en échange d’un soutien à la directive.

Ce 26 mars, le journal concède que « le résultat [du vote] doit être salué si la nouvelle directive européenne renforce réellement les éditeurs », mais souligne que la réforme connaît également beaucoup de perdants. Renvoyant dos à dos « l’alarmisme » des adversaires de la directive et le mépris des soutiens du texte à l’endroit des manifestants, le journal voit dans les débats sur le sujet « une bataille indigne, dans laquelle les relations entre les citoyens européens et les députés ont été sérieusement endommagées dans les deux sens ».

NDLR : Le Monde est membre de l’Alliance de la presse d’information générale, qui regroupe trois cents médias français, et soutenait le texte.