Dans l’introduction du dossier sur le conflit malien prévu dans le trimestriel Afrique contemporaine n° 267 et piloté par l’universitaire canadien Bruno Charbonneau, ce dernier émet des pistes de conclusion. Celles-ci sont « peu optimistes sur l’avenir à court et moyen termes du Mali, pour ne pas dire pessimistes ». Il nuance néanmoins son constat : « Le moment de basculement, ou point de non-retour, n’a pas encore été atteint. » Pour certains agents de l’Agence française de développement (AFD), autorité de tutelle de la revue, et quelques membres du comité de rédaction d’Afrique contemporaine, ce type de « jugement politiquement sensible » est inapproprié, en tout cas dans une revue scientifique.

Avec les membres de son équipe de chercheurs pluridisciplinaires, l’universitaire canadien a mené, depuis septembre 2016, un travail de recherche au Mali, mais aussi dans certaines capitales sahéliennes et européennes engagées militairement et politiquement dans la résolution des conflits. Le dossier qui devait paraître dans la revue se composait d’une série d’articles d’analyse étayés par des enquêtes de terrain.

Violences et tensions

Dans le premier article titré « Les groupes djihadistes dans le conflit malien depuis 2015. Entre violence et pratiques de légitimité locale », Aurélie Campana et Adam Sandor, du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix, décryptent les ambitions politiques de ces organisations recourant à la violence pour s’imposer comme « des acteurs de gouvernance locale », là où l’Etat central n’est plus capable d’exercer sa souveraineté. Et ce, en instrumentalisant et en excitant parfois les violences intercommunautaires. Un sujet d’actualité : samedi 23 mars, un massacre a été perpétré dans un village peul du centre du Mali, tuant 160 personnes, selon un bilan officiel.

Dans un autre article, trois autres chercheurs s’intéressent justement à la région de Mopti (dans le centre du pays) sous l’angle des « élites statutaires peules et [des] logiques de domination ». Les auteurs pointent également les risques d’accroissement des tensions provoquées par des interventions militaires internationales dont la vision est jugée trop souvent « binaire, entre les acteurs “légitimes” et “terroristes” ». L’Etat malien, rappellent les universitaires, n’est pas étranger à ces violences, tant certains de ses représentants y contribuent, assimilant dangereusement les Peuls à des terroristes, se rendant parfois coupables de violations des droits de l’homme. Des soldats maliens ont ainsi procédé à des exécutions de civils, selon les Nations unies.

En publiant des travaux de chercheurs nord-américains, Afrique contemporaine a voulu décentrer le regard. Outre ce dossier scientifique soumis à un processus d’évaluation par les pairs (peer review), d’autres articles étaient au menu de ce numéro, provoquant, une fois encore, des craintes de la part des responsables de l’AFD. Bruno Charbonneau, lui, assure que c’est la dernière fois qu’il collabore avec une revue scientifique française dans de telles conditions. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, rédacteur en chef démissionnaire, a lancé dans Le Monde Afrique un appel à la création d’une nouvelle revue.

« Afrique contemporaine », revue pluridisciplinaire trimestrielle, éd. De Boeck Supérieur, 18 euros. www.afrique-contemporaine.info/