Un technicien à l’intérieur du laboratoire P3+ de l’Institut Pasteur de Bangui, le 14 août 2018. / Gaël Grilhot

« Voilà un exemple typique de ce qu’il ne faut pas faire en matière de prélèvement. C’est pour ça que j’insiste pour que ce soient des personnels formés par l’institut qui s’en chargent. » Le docteur Emmanuel Nakoune Yandoko est agacé. Des agents ont mal rebouché les tubes à essais contenant des prélèvements de patients suspectés d’avoir été contaminés par la variole du singe à Banda, dans l’arrière-pays.

Les échantillons se sont déversés dans le sac en plastique qui les contenait. « Ils sont inutilisables, lâche-t-il. Nous les avons détruits alors que nous avons pourtant des procédures strictes et que ce sang doit être conservé à une température de 4 à 8 degrés, dans des tubes soigneusement étiquetés. »

Le docteur Yandoko est directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Bangui, où sont analysés des échantillons qui font peur : virus de la vallée du Rift, variole du singe ou encore tuberculose. Voilà ce que traque l’établissement, inauguré en 1961, membre du réseau international des Instituts Pasteur (RIIP) préposé plus largement à la recherche, la santé publique (centres de vaccinations, analyses), et l’enseignement (formation de chercheurs ou de médecins militaires, par exemple).

Bijou de technologie

Si certains diagnostics n’imposent pas d’équipements trop complexes, pour les virus les plus dangereux, comme Ebola ou la fièvre de Marburg, le niveau de sécurité augmente considérablement. Et c’est pour pouvoir traiter ces agents pathogènes très virulents que, depuis 2011, l’Institut s’est doté d’un laboratoire P3 + (P pour protection). C’est un plateau technique très moderne et hyperprotégé.

De l’extérieur, ce bijou de technologie ne paie pas de mine. Pas de barbelés, ni de dispositif de sécurité notable, ou de gardes armés jusqu’aux dents. Juste un petit bâtiment de plain-pied en phase avec l’atmosphère bucolique et arborée de l’Institut. Seuls quelques panneaux discrets avec têtes de mort ou sigles de danger bactériologique préviennent de ce qui se cache derrière ces murs.

Le directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Bangui, Emmanuel Nakoune Yandoko, à l’entrée du laboratoire P3+, le 7 mars 2019 / Gaël Grilhot

Le modernisme du P3 + se cache à l’intérieur. Les laboratoires P3 sont conçus pour protéger à la fois l’opérateur et les populations environnantes grâce à une étanchéité de l’enceinte, une mise en dépression des locaux qui évite toute fuite vers l’extérieur et une filtration de l’air rejeté. « Avant d’atteindre la salle de recherche proprement dite, Il faut traverser trois sas de dépressurisation, explique le docteur Yandoko. Cette pression de plus en plus basse empêche les virus de s’échapper. » Gants, masques, combinaisons : personne n’entre dans la salle de recherche avec ses effets personnels et tout ce qui en sort passe immédiatement dans l’autoclave pour être désinfecté. A Bangui, le laboratoire est par ailleurs équipé d’une boîte à gants mobile, permettant son transport sur les zones à risques, pour effectuer des analyses encore plus efficacement.

Prévenir tout début d’épidémie

Ce P3 + a déjà sauvé bon nombre de vies. Récupérés dans la région de la Lobaye (sud-ouest), des échantillons provenant de l’eau de moustiques et de tiques y ont été analysés, prouvant la présence du virus de la fièvre de la vallée du Rift. Une maladie mortelle qui touche à la fois les hommes et le bétail, et qui peut avoir aussi des conséquences graves sur le plan économique. En 2016, un échantillonnage plus important sur des bovins et des humains a permis de tracer la circulation de ce virus en Centrafrique, et cette étude, menée par le docteur Nakoune, permet aujourd’hui de mieux prévenir tout début d’épidémie.

La variole du singe, une cousine de la variole humaine, mortelle et hypercontagieuse, réapparue en Centrafrique au début des années 2010, est pour l’heure diagnostiquée rapidement par le P3 + de l’Institut à chaque alerte, une douzaine par an. Le P3 + permet d’isoler les patients très rapidement pour contenir la maladie à des zones très étanches, et éviter une expansion meurtrière comme celle qu’a connue le Nigeria en septembre 2017 avec 345 cas suspects dans 25 Etats.

Ces derniers temps, le laboratoire scrute aussi les indices d’une potentielle arrivée d’Ebola depuis la République démocratique du Congo (RDC), pour l’anticiper au maximum. Etrangement, aucune alerte n’a pour le moment été confirmée, alors que le docteur Yandoko estime que toutes les conditions sont réunies : « Selon une étude récente, 13 à 14 % de la population des bords de la frontière avec la RDC présentent des anticorps à Ebola. Ce taux grimpe énormément avec les populations en contact direct avec la forêt, comme les communautés pygmées. Ils sont ou ont été par conséquent en contact avec des réservoirs du virus. »

La possibilité d’une épidémie n’est donc pas à exclure, comme le risque d’une importation via la RDC, puisqu’une épidémie y sévit à 1 000 kilomètres. Plusieurs alertes de suspicion ont déjà été lancées après des cas de fièvre hémorragique déclarés, notamment à Mboki, dans l’est de la Centrafrique. Mais aucun échantillon envoyé au P3 + ne s’est pour l’heure révélé positif.

« Un atout exceptionnel »

Dans un pays comme la Centrafrique, en proie à un conflit interminable, et où 80 % du territoire est encore entre les mains des groupes armés, la présence de ce laboratoire est jugé « primordial » par le docteur Alain, coordinateur médical pour Médecins sans frontières. Il en existe également un autre à Kinshasa, inauguré en 2016, mais compte tenu de la taille du pays et des difficultés de circulation, celui de Bangui est parfois utilisé pour des alertes en RDC. Sinon, il faut aller jusqu’en Guinée, au Kenya ou en Afrique du Sud pour trouver ce type de matériel. Or dans la lutte contre ces pathologies très dangereuses, la proximité est essentielle pour « avoir une réponse rapide, et mettre en place des mesures de confinement, en cas de confirmation d’une contamination », ajoute le coordinateur.

Le ministre de la santé Pierre Somsé se félicite aussi que « ce laboratoire constitue un atout exceptionnel pour la Centrafrique. Il nous permet une capacité de riposte, dans un pays au cœur de l’Afrique intertropicale, où les maladies infectieuses constituent un élément caractéristique ». L’Institut Pasteur a d’ailleurs été intégré au cœur même du dispositif de surveillance des épidémies aux côtés des personnels de santé, des organisations humanitaires et de l’armée.

Pour voir plus loin, le P3 + a aussi une vocation de recherche. Une convention a été passée avec l’université de Bangui, afin de former des jeunes chercheurs. Des travaux sur le paludisme y sont actuellement menés. D’autres sur le virus de la mosaïque du manioc.

Sommaire de la série « Carnet de santé »

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