Devant l’ambassade de la Corée du Nord à Madrid, le 28 février. / Manu Fernandez / AP

Après plus d’un mois d’investigation, le juge chargé de l’enquête sur l’attaque perpétrée, le 22 février, à l’ambassade de Corée du Nord, à Madrid, a levé le secret de l’instruction. Et les détails, rendus publics mardi 26 mars, ne font qu’épaissir l’énigme entourant le vol de matériel informatique réalisé par un « commando » de dix hommes, en plein jour et après avoir séquestré durant quatre heures le personnel diplomatique nord-coréen.

Selon l’ordonnance judiciaire, l’attaque a été pilotée par un citoyen mexicain résidant aux Etats-Unis, Adrian Hong Chang, lequel a quitté l’Espagne immédiatement après l’attaque, et pris un vol depuis Lisbonne pour l’aéroport de Newark, près de New York. Cinq jours plus tard, il serait entré en contact avec le FBI afin d’offrir les informations dont il disposait, et aurait soutenu qu’un des membres de l’ambassade était prêt à faire défection.

Qui se cache derrière cette opération ? L’attaque a été revendiquée par un groupe énigmatique, Cheollima Civil Defense (CCD), du nom d’un cheval de la mythologie d’Asie orientale. Son objectif affiché est de renverser la dynastie des Kim et de soutenir les déserteurs du régime. S’il a réagi, dès mardi, à la communication du juge espagnol, disant avoir « répondu à une situation d’urgence à l’ambassade à Madrid », le CCD n’a pas apporté pour l’heure de preuve indéniable de sa participation.

En revanche, c’est le même groupe qui, en mars 2017, avait publié une vidéo de témoignage de Kim Han-sol, fils du demi-frère du dirigeant nord-coréen, assassiné un mois plus tôt à l’aéroport de Kuala Lumpur. Pour les services de renseignement espagnols, et pour les observateurs du régime nord-coréen, il est peu probable qu’une telle opération ait été montée sans soutien extérieur. Le porte-parole du département d’Etat américain, Robert Palladino, a assuré que le « gouvernement des Etats-Unis n’a rien à voir » avec l’attaque.

Deux disques durs

Les enquêteurs espagnols ont retrouvé la trace de M. Hong Chang à Madrid, deux semaines avant l’attaque. Début février, il a en effet effectué une première visite à l’ambassade en se faisant passer pour un chef d’entreprise désireux d’investir en Corée du Nord. A cette occasion, il rencontre l’attaché commercial, le fonctionnaire de plus haut rang depuis que l’ambassadeur a été expulsé d’Espagne en septembre 2017, au lendemain du sixième essai nucléaire nord-coréen.

Le matin du 22 février, le chef présumé du commando achète des couteaux de combat, de faux pistolets et des lunettes de tir, dans une boutique de Madrid. Toujours selon la justice espagnole, deux autres membres du groupe, le Sud-Coréen Lee Woo-ran et l’Américain Sam Ryu, se sont procuré rouleaux d’adhésif, pinces et cisailles.

A 16 h 34, M. Hong Chang arrive à l’ambassade et demande à parler à l’attaché commercial. Alors qu’il attend dans la cour, il profite d’un moment d’inattention du personnel pour faire entrer les neuf autres membres de son groupe qui attendent à l’extérieur. Ils bâillonnent les sept membres du personnel de l’ambassade présents, les immobilisent en leur attachant les mains dans le dos et leur couvrent la tête de sacs plastique.

Une femme qui s’est réfugiée dans une pièce fermée à clé parvient à s’enfuir en sautant par la fenêtre. Un passant appelle alors les secours et la police. Cependant, lorsque les agents se rendent sur place, c’est le chef présumé du commando, un badge nord-coréen sur la veste, qui leur ouvre la porte et, tout en se présentant comme un haut représentant diplomatique, leur assure qu’il n’y a aucun problème à l’intérieur du bâtiment.

Mandat d’arrêt international

Après une heure dans l’ambassade, ils conduisent l’attaché commercial en sous-sol et lui demandent de déserter, se présentant comme les membres d’une association de défense des droits de l’homme luttant pour la libération de la Corée du Nord. Face à son refus, ils l’attachent de nouveau.

Vers 21 h 40, les assaillants repartent avec, selon le magistrat espagnol, deux clés USB, deux ordinateurs, deux disques durs, dont celui de sauvegarde des images de vidéosurveillance, et un téléphone portable. Ils fuient à bord de trois véhicules de l’ambassade, à l’exception de M. Hong Chang et d’un autre membre du groupe qui ont réservé un Uber en utilisant un compte sous le faux nom d’« Oswaldo Trump » et sortent par la porte de derrière, évitant ainsi la police espagnole postée devant l’entrée principale. Divisés en quatre groupes, ils quittent immédiatement l’Espagne. Selon El Pais, un mandat d’arrêt international a été émis par la justice espagnole contre les deux assaillants ayant fui aux Etats-Unis.