Arte, mercredi 27 à 22 h 55, documentaire

Qui a tué Pigalle ? Le quartier rouge parisien, tour à tour repaire d’artistes, d’écrivains, de prostituées et de proxénètes, de voyous et enfin de bobos, n’a jamais été aussi désirable. Cet emballement des jeunes actifs pour ce minuscule quartier (« une place, trois rues, un bout de boulevard ») a fait s’envoler le prix du mètre carré en dix ans. Et poussé les titis du coin à s’en éloigner, le plus souvent. Ce sont leurs souvenirs que le documentariste David Dufresne a voulu recueillir dans son très touchant documentaire, Pigalle. Une histoire populaire de Paris.

Fidèle du New Moon, ancien cabaret devenu bordel pour nazis, puis, comme il le connut, club rock, le journaliste a posé place Pigalle un cinéma ambulant, destiné à montrer aux passants à quoi ressemblait le quartier avant qu’un magasin bio ne prenne la place de la salle de concerts qui a vu s’encanailler une génération de jeunes Parisiens dans les années 1980.

Marie-Colette, ancienne vendeuse de guitares, entourée d’autres anciens habitants du quartier dans « Pigalle. Une histoire populaire de Paris », réalisé par David Dufresne. / TEMPS NOIR

Il a également convié, dans son camion, les vieux de la vieille : Marie-Colette, Pierrot, Eliane, Christine… Ils sont travesti, ex-patron de bar, ancienne prostituée, nièce de proxénète, flic à la retraite. Tous ont en commun d’avoir aimé ce quartier pour ce qu’il a longtemps été : sale, malfamé, mais bouillonnant, où chacun s’entraidait et faisait attention à l’autre.

Conçus pour appâter le chaland en lui faisant croire « qu’il y aura du sexe », les « bars à filles » et leurs néons criards sont le poumon économique du quartier depuis l’entre-deux-guerres, et une source de revenus importante pour « le milieu ». Etroitement surveillés par « la mondaine », les voyous locaux quitteront le quartier dans les années 1970, quand la drogue deviendra plus rentable que l’exploitation des femmes. Leur bar préféré, Le Trafalgar, fut le lieu d’une fusillade célèbre. Aujourd’hui, une crèche municipale en a pris la place. Eliane, plusieurs décennies de trottoir à son actif, évoque un monde disparu, celui où « les filles étaient très, très bien habillées, coiffées, maquillées ». Et où on gagnait bien sa vie.

Fort pouvoir évocateur

Emaillé d’extraits de films (Jean Renoir évoque son père et la Nouvelle Athènes en 1965, Bob le flambeur…), ce documentaire rappelle le fort pouvoir évocateur du quartier sur l’imaginaire. En témoignent les nombreux polars qui y furent tournés. « C’était une vraie jungle !, s’amuse Marie-Colette, mais c’est ça qui était intéressant. » « Il fallait être malin, et aussi insouciant, pour vivre ici », dit Christine. « La came a tout perverti », regrette-t-elle. Petit à petit, les filles les plus belles sont parties vers les Champs-Elysées, où la clientèle est plus fortunée, expliquent deux anciens de la mondaine. Et ce fut le début de la fin.

Aucun de ces personnages hauts en couleur, détenteurs de cette précieuse mémoire populaire, ne se reconnaît dans le « South Pigalle » – « SoPi » – aseptisé d’aujourd’hui. Les « odeurs de sexe et de parfum bon marché, de champagne et de clopes » ont laissé place à celles « du propre, du bio, de la cigarette électronique et de l’huile essentielle de lavande », déplore David Dufresne. Il y a toujours quelque chose de surprenant à écouter des gens dépeindre un monde de sexe tarifé, de morts par overdose et de règlements de comptes avec des étoiles dans les yeux. La nostalgie de la bohème cache mal la douleur qu’inflige le temps qui passe. Il n’empêche, Pierrot et sa bande ont tant à raconter. Vite, écoutons-les.

Pigalle. Une histoire populaire de Paris, de David Dufresne (Fr., 2017, 60 min). Disponible à la demande sur Arte.tv et www.davduf.net/le-pigalle-une-histoire-populaire-de-paris