Le Monde

« Le Tour du monde en quatre-vingts jours », de Jules Verne, Le Monde, 344 p., 10 €. En kiosque.

Chaque Voyage extraordinaire offre au lecteur un mode spécifique de parcours terrestre, une façon unique de découverte planétaire : en usant du 37e parallèle comme fil d’Ariane (Les Enfants du capitaine Grant, 1865), en empruntant une route souterraine (Voyage au centre de la Terre, 1864), par la voie des airs (Cinq semaines en ballon, 1863 ; ­Robur le Conquérant, 1886), des mers (Vingt mille lieues sous les mers, 1869-1870), ou du hasard (Le Testament d’un excentrique, 1899).

Avec Le Tour du monde en quatre-vingt jours, paru en 1872 alors que Verne s’installe à Amiens, adapté au théâtre en 1874 avec un succès inouï (3 600 représentations jusqu’en 1940), porté plus d’une dizaine de fois à l’écran, cet art de lire le monde prend un tour nouveau. Ça n’est plus un moyen technique ou une réalité géographique qui sert d’angle d’attaque, mais une ­grandeur physique : la vitesse.

Motricité obsessionnelle

En effet, à l’issue d’un pari onéreux lancé au Reform Club de Londres, le dandy Phileas Fogg, riche rentier au quotidien réglé et remonté comme un chronographe, s’engage à « tâter de la rondeur du monde » (Marguerite Yourcenar) dans un délai maximum de 80 jours. La plus grande ­célérité prévaudra donc sur les délectations touristiques. Périple qu’il ­effectuera siégeant à dos d’éléphant ou pilotant un char à voile, par train ou steamer, plein ouest, en compagnie de Passepartout, son domestique montmartrois, de Mme Aouda, sa future épouse, et talonné par l’inspecteur Fix, qui le croit coupable d’un cambriolage.

Un Tour du monde… que marque avant tout une motricité obsessionnelle qui pousse les protagonistes à jongler en permanence avec la triple donnée espace-durée-vitesse, à faire de cette randonnée planétaire un ­véritable récit « dromologique » (Paul Virilio), une apologie moderniste de la rapidité.

A découvrir également dans ce ­volume, deux nouvelles : Les Forceurs de blocus (1865), située durant la guerre de Sécession, belle illustration de l’abolitionnisme vernien, et Frritt-Flacc (1884), conte fantastique délirant où un médecin se voit ­appelé à son propre chevet.