La ville de Beira le 20 mars 2019, dans le centre du Mozambique, ravagée par les inondations déclenchées par le passage du cyclone Idai quelques jours auparavant. / ADRIEN BARBIER / AFP

Analyse. Certains avaient eu le message. « Quelques jours avant le cyclone, les autorités sont passées avec des mégaphones dans les rues pour nous dire de nous calfeutrer. C’était à la télévision et à la radio aussi », explique José Batio, à John Segredo. Ce père de famille vivait à quelques mètres de la portion de route reliant la ville de Beira au reste du Mozambique, voie détruite mi-mars par les inondations provoquées par le cyclone Idai. Chez lui, l’eau est montée d’un coup, la nuit, et il a juste eu le temps de se réfugier sur le toit de son voisin pour voir sa maison engloutie par les flots. « On aurait bien voulu fuir avant, mais pour aller où ? », interroge-t-il rétrospectivement.

Le cyclone Idai, qui a frappé la côte mozambicaine dans la nuit du 14 et 15 mars, a fait 468 morts au Mozambique et plus de 250 au Zimbabwe. Un bilan lourd déjà, bien qu’encore provisoire, qui pour beaucoup de Mozambicains s’explique par l’inefficacité et l’impréparation du gouvernement de ce pays, l’un des dix pays les plus pauvres au monde.

Dégâts colossaux

Après l’urgence humanitaire, voici donc venu le temps des interrogations. Pas la première fois qu’un cyclone tropical frappe le Mozambique. Pas non plus la première fois que des inondations tuent massivement. Dès 1999, l’Institut mozambicain de gestion des désastres naturels (INGC) a été créé pour répondre à ce type de catastrophe et surtout mettre au point des systèmes d’alerte.

Ainsi, quelques jours avant qu’Idai ne frappe Beira, le gouvernement a déclenché l’alerte rouge. La population a été informée, les zones immédiatement à risques ont été évacuées. « Tous nos mécanismes ont été activés et ont plutôt bien fonctionné, on a fait tout ce qui était en notre pouvoir », explique la directrice de l’INGC, Augusta Maita. Les humanitaires et le gouvernement le martèlent : vues la magnitude et l’intensité d’Idai, n’importe quel pays aurait connu des dégâts colossaux. Parce qu’il a si bien visé la ville de Beira et ses 500 000 habitants, et parce qu’il a poursuivi son périple destructeur en amont des rivières qui ont débordé, Idai s’est mué en « tempête parfaite », l’une des plus grosses catastrophes climatiques jamais enregistrées dans l’hémisphère Sud, d’après les Nations unies. Il n’empêche : le nombre d’abris anticycloniques installés ces dernières années est minime et l’œuvre uniquement des agences de coopération.

Or la géographie du Mozambique rend inévitable ce type de catastrophes. Le pays possède une façade maritime de 2 700 km où se jettent toute une série de fleuves qui prennent leur source dans les pays de l’hinterland : l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, la Zambie et le Malawi.

En 2000, le cyclone Eline, qui avait frappé la côte à 80 km au sud de Beira, avait fait déborder les fleuves Save et Limopo. Les inondations avaient dévasté la ville de Chokwe, pourtant située à 100 km dans les terres, parce qu’un barrage avait cédé. En 2015, c’est le fleuve Licungo, au nord du pays, qui avait débordé de 12 mètres et dévasté la province de Zambézie. N’importe quel fleuve peut déborder, et parce que le pays est plat, n’importe quelle zone peut être inondée.

« Le Mozambique va avoir besoin de l’aide internationale pendant encore longtemps. Il va falloir employer toute l’ingéniosité et la complexité de ce qu’on sait faire en termes de reconstruction et d’adaptation aux risques d’inondation », a déclaré la « sage » Graça Machel, de passage à Beira. Pour la veuve de Nelson Mandela – mais aussi du premier président mozambicain Samora Machel –, il n’est pas question de charité : la responsabilité de la communauté internationale est bel et bien engagée. « Beira entre dans l’histoire comme la première ville complètement détruite par les changements climatiques, a-t-elle ajouté. Il va falloir que les gens restent dans la durée, et non quelques semaines comme l’on voit souvent. »

La communauté scientifique a depuis longtemps prédit que les phénomènes cycloniques se feraient plus fréquents et plus violents dans cette partie du monde. En cause, le réchauffement de l’océan Indien, dont la température augmente plus rapidement qu’ailleurs, et où justement Idai, qui n’était qu’une forte tempête tropicale, a gagné en intensité avant de frapper Beira.

Pays étranglé

Cette catastrophe révèle en outre la nature profondément injuste des changements climatiques. Le Mozambique ne produit que 0,14 % des émissions de gaz carbonique au monde. Sa production électrique est à 90 % issue d’énergies renouvelables, et 71 % de sa population vit de l’agriculture de subsistance, si vulnérable et… peu mécanisée.

Alors que l’ONU vient de lancer un appel aux dons de 282 millions de dollars (251 millions d’euros) pour financer l’aide d’urgence ces trois prochains mois, il faudra nettement plus au Mozambique pour s’adapter aux changements climatiques. Le Bangladesh, lui, très souvent confronté aux inondations et aux cyclones, a investi des milliards de dollars en digues et en abris anti-inondations ces dernières années.

La situation du Mozambique est d’autant plus critique que le pays est étranglé financièrement : ces derniers mois, l’Etat n’avait même plus assez d’argent pour payer l’électricité dans les ministères. La révélation en 2016 de l’existence de plus de 2 milliards d’euros de dettes cachées par le gouvernement, pour financer un ambitieux programme de protection côtière (embarcations, chantiers navals, radars) a provoqué une crise de confiance avec les bailleurs de fonds internationaux, qui s’est muée en crise financière lorsqu’ils ont gelé une partie de leur aide, et en crise économique lorsque la monnaie a plongé.

La triste ironie, c’est qu’aucun de ces bateaux – dont une partie a été construite à Cherbourg, en France – n’était visible lorsqu’il a fallu sauver les habitants de Beira cernés par les flots. D’après les dernières révélations, 200 millions de dollars de rétrocommissions auraient été empochés par quelques responsables mozambicains, mais aussi par les banquiers londoniens qui ont arrangé les emprunts et ceux qui ont ficelé les contrats. Le Mozambique a déjà fait les frais des excès de la finance mondialisée. Le laissera-t-on abandonné cette fois aux changements climatiques induits par les pays industrialisés ?