Le joueur suisse Fabian Schär est au sol lors du match Géorgie-Suisse. / IRAKLI GEDENIDZE / REUTERS

L’image est impressionnante autant que le choc entre les têtes des deux footballeurs, celles du Géorgien Jemal Tabidze et du Suisse Fabian Schär. Suite à un duel aérien, ce dernier retombe violemment au sol, inconscient. L’un de ses adversaires le met en position de sécurité pour l’empêcher d’avaler sa langue.

On joue la 24e minute du match comptant pour les éliminatoires à l’Euro 2020, samedi 23 mars à Tbilissi. En toute logique, le défenseur de la Suisse devrait sortir du terrain. Il n’en est rien. Après une interruption de cinq minutes et un court examen médical, le docteur de la Nati l’autorise à reprendre le jeu et à terminer la rencontre.

« Je voulais vraiment jouer, et comme toujours, tout donner pour mon équipe et la Suisse », a expliqué Fabian Schär après la rencontre. Trois jours plus tard, le défenseur est déclaré inapte à jouer face au Danemark…

« A aucun moment, Fabian Schär n’aurait dû être autorisé à reprendre. C’est ridicule ». Comme en témoigne la réaction d’Alan Schearer, ancienne vedette de Newcastle (club où évolue Schär) et ancien international anglais, cet incident a relancé le débat sur les commotions cérébrales et leur prise en charge dans le football.

D’autant que le cas de Fabian Schär n’est pas isolé et montre que le milieu du ballon rond a pris du retard dans l’attention qu’il porte à ce sujet, notamment par rapport à des sports comme le rugby.

D’autres cas

En 2014, un cas de commotion avait défrayé la chronique. En finale du Mondial brésilien, remportée par l’Allemagne, l’un des vainqueurs, Christoph Kramer, est mis K.-O par un coup de coude à la tempe avant de reprendre le match. Il sort finalement 15 minutes après. Plus tard, il confiera n’avoir plus aucun souvenir des minutes passées sur la pelouse de la rencontre.

Cette année, avant le choc dont a été victime Fabian Schär, deux autres incidents spectaculaires ont eu lieu. Le 13 mars, en Ligue des champions, le gardien lyonnais Anthony Lopes est resté au sol, inconscient un court instant, après un impact avec le genou d’un Barcelonais. Contre l’avis du médecin, il a décidé de rester sur le terrain avant de finalement sortir quelques minutes plus tard.

Le 17 mars, un autre gardien, David Ospina, celui de Naples, a été sonné lors d’un match de Serie A. Il a repris le jeu avec un bandage à la tête avant de s’écrouler trente minutes plus tard et d’être évacué et transporté à l’hôpital.

Des protocoles mis en place depuis 2015

Pourtant, des protocoles existent. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé l’association britannique Headway, spécialisée sur les blessures au cerveau, en réclamant l’ouverture d’une enquête à l’UEFA après l’« affaire Schär » : « il faut expliquer pourquoi les protocoles n’ont pas été suivis », a-t-elle déclaré.

Depuis 2015, la FIFA et l’UEFA, les deux principales instances du football mondial et européen, ont mis en place un protocole, adopté, en janvier 2016, par la Fédération française de football (FFF) et par la LFP (Ligue professionnelle de football).

Dans une situation comme celle de Fabian Schär, le médecin de l’équipe dispose de trois minutes pour réaliser un examen médical. Et, en cas de suspicion, le joueur doit être remplacé. « On n’a pas besoin de diagnostiquer sur le terrain la commotion, la simple suspicion suffit », précise le docteur Emmanuel Orhant, chef du service médical de la FFF.

Le neurologue Jean-François Chermann, spécialisé dans les commotions cérébrales et qui travaille avec de nombreux sportifs (rugby, judo, équitation, football), décrypte ce qu’est une suspicion : « Le sportif titube, il est hagard, son regard n’est pas normal… Tous ces éléments forment un doute. Parfois, il peut bien répondre aux questions de mémoires ou aux tests d’équilibre, ça ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de commotion. »

A Barcelone, le gardien lyonnais Anthony Lopes n’est pas sorti immédiatement après le choc reçu à la tête. / SUSANA VERA / REUTERS

La difficulté de voir et de convaincre

« Le médecin est seul décisionnaire, ce n’est ni le joueur, ni l’entraîneur », précise par ailleurs Emmanuel Orhant, avant de reconnaître que, « dans les faits, il est souvent compliqué de faire comprendre au joueur qu’il a une commotion ». « J’étais récemment à une table ronde avec le rugbyman Jamie Cudmore (victime d’une commotion en finale de la Coupe d’Europe 2015) qui disait que l’on ne doit pas écouter le sportif, qui est toujours sûr de ne rien avoir. »

Autre difficulté : « au foot, nous les médecins ne pouvons pas voir les images. Il arrive que l’on n’assiste pas directement au choc », relève Emmanuel Orhant, qui explique ce n’est pas le cas par exemple « au rugby ou au hockey, où il y a un docteur, ou un ancien joueur en ce qui concerne la NHL, qui surveille les images et prévient en cas de suspicion. »

Pour part James Coxon, chef de presse de l’association Headway, considère que si « des protocoles ont bien été introduits », ceux-ci « ne sont ni assez solides, ni suivis avec une quelconque cohérence ».

« Lorsque les violations sont flagrantes, comme ce qui s’est passé pour Fabian Schär, il n’y a apparemment aucune répercussion sur les clubs ou les pays concernés, poursuit-il. Les joueurs sont souvent décrits comme des guerriers qui continuent de jouer malgré leur commotion. Il est difficile de constater un changement culturel dans le football. »

« Mieux qu’avant, mais encore du travail à faire »

L’association milite pour un examen similaire à celui pratiqué en rugby, hors du terrain, plus long (10 minutes), pendant lequel l’équipe concernée aurait le droit à un remplacement temporaire avant de décider du retour ou non du joueur.

Cette solution n’emballe pas le docteur Orhant : « Je ne suis pas pour. Je ne veux pas qu’on prenne le risque d’avoir des joueurs qui rentrent à nouveau. Je suis pour le zéro risque. »

« Dès qu’il y a une suspicion de commotion, les joueurs doivent sortir. Or, en ce moment, il y a des cas où ça n’est pas respecté. Cela veut dire qu’il y a des risques de subir un autre impact ou de contracter une autre blessure », regrette le docteur Jean-François Chermann.

« C’est beaucoup mieux qu’avant mais il y a encore du travail à faire », poursuit celui qui a été à l’origine du protocole HIA 3 (head injury assessment) de prise en charge de la commotion cérébrale au rugby, rappelant que ce dernier sport « a mis de longues années à prendre conscience du problème ». « Les instances dirigeantes du football l’ont bien compris, mais il reste à convaincre les joueurs et les entraîneurs », souligne-t-il.

11 cas en 720 matchs cette saison en France

En France, le parcours du footballeur professionnel est en tout cas balisé après une suspicion de commotion. Il doit être envoyé vers un expert indépendant (il en existe 15 en France) dans un délai de 48 à 72 heures après le match incriminé. Ce dernier détermine si la commotion est réelle ou pas. Si elle l’est, le commotionné doit suivre un protocole de reprise en six étapes. Et enfin, subir un deuxième examen par un expert qui doit le déclarer apte.

Cette saison, le football professionnel français a connu 11 cas de commotions cérébrales en 720 matchs de Ligue 1, Ligue 2, de coupes nationales et européennes. Emmanuel Orhant tient les comptes : « Les délégués ont l’obligation de signaler tous les traumas à la tête et les médecins de club ont également l’obligation de faire une déclaration à la commission médicale de la FFF. »

En décembre, une sanction est tombée pour un club qui n’a pas respecté toute la marche à suivre. « Un club a été sanctionné de 10 000 euros avec sursis pour n’avoir pas envoyé son joueur au deuxième examen obligatoire d’avant reprise », confie Emmanuel Orhant. Taper au portefeuille est peut-être une partie de la solution.