Rokhaya, 20 ans, apprend les rudiments de la mécanique dans le garage Femme Auto, dans la banlieue de Dakar, au Sénégal. / Pierre Gautheron/Hans Lucas

Chaque jour, c’est un balai millimétré. Rama fait signe à Yandé de reculer. Elle tourne le volant d’une main, l’autre sur le rétroviseur et, dans un créneau d’experte, passe entre une dizaine de véhicules enchevêtrés pour garer le pick-up dans la seule place libre du garage. Pendant ce temps, Fatou montre à la stagiaire Rokhaya le moteur fatigué d’une Toyota sous le regard bienveillant de Ndèye, la patronne. Au Sénégal, Femme Auto est le seul garage qui a fait de l’intégration des mécaniciennes sa priorité.

« Dès le départ, j’ai voulu un garage 100 % féminin pour montrer au monde entier que c’est un métier qui peut être exercé par une femme aussi bien qu’un homme », lance Ndèye Coumba Mboup. C’est en 2006, avec ses propres économies, qu’elle décide d’ouvrir son enseigne dans la banlieue de Dakar. Si elle n’a pas encore atteint son objectif 100 % féminin, c’est parce que les écoles de mécanique automobile sénégalaises « ne produisent pas encore suffisamment de femmes diplômées », explique-t-elle. Ndèye doit donc pour l’instant se résoudre à un garage mixte, où elle fait cependant régner une stricte parité hommes-femmes entre sa vingtaine d’employés. « Et les femmes y occupent les rôles de supervision en priorité », tient-elle à préciser. La patronne veut que son garage soit un havre de tolérance dans lequel les deux sexes apprennent à travailler dans le respect mutuel.

Havre de tolérance

C’est après treize ans dans le métier que Ndèye en a eu assez d’être salariée. Assez aussi du dédain de certains clients, comme cet homme d’affaires aisé qui a refusé qu’elle répare sa berline. « Ça m’a fait tellement mal, j’en ai pleuré longtemps », se souvient celle qui ne voulait pas qu’une autre fille vive le même affront. Alors, elle s’est lancée dans l’aventure.

Pionnière dans le pays, Ndèye a depuis inspiré d’autres jeunes mécaniciennes. Si dans sa promotion de 1993, elle était la seule femme, désormais, le métier ouvre de plus en plus facilement ses portes à la gente féminine.

Ndèye est arrivée là un peu par hasard, à cause de son père, comptable au chômage, qui ne voulait pas qu’elle fasse le même métier que lui. « Etant l’aînée, j’ai pourtant dû le seconder en trouvant rapidement un travail pour nourrir la famille. J’avais un BTS en technologie et la mécanique me semblait un bon choix. » Le job était dur. Elle se rappelle avoir eu envie d’abandonner, cassée physiquement par les moteurs qu’elle devait porter, les pièces qu’il fallait démonter et nettoyer plusieurs fois d’affilée. Elle aurait laissé tomber si son père ne l’avait pas soutenue.

Son assistante technique, Fatou Mbaye, 34 ans, exprime son admiration : « Si je n’avais pas vu Ndèye à la télé dire que les femmes doivent se battre, travailler pour subvenir à leurs besoins, j’aurais sans doute abandonné mes études de mécanique comme de nombreuses Sénégalaises. Elle m’a donné du courage. Elle répétait que tous les métiers étaient bons pour les femmes. Que l’essentiel était d’être digne. »

Fatou, elle, est venue au métier par son frère, électromécanicien. D’abord graisseuse chez Shell, elle a longtemps été la seule femme des garages où elle a exercé, avant de rejoindre celui-ci, comme les huit autres mécaniciennes de Femme Auto. « Etre avec des femmes peut être rassurant, confie-t-elle. Même si on se fâche parfois, l’atmosphère est bonne, on se respecte et on se soutient comme une famille. »

« Qualité du service »

Pour les mécaniciennes, Ndèye est une mère ou une « tata », comme l’appelle Rama Toulaye Ba, 27 ans dont huit dans le secteur. « J’ai choisi ce garage car c’est plus accueillant d’être entre femmes même si j’ai l’habitude de travailler avec des hommes. » Rama rêve depuis toute petite d’être militaire. Mais elle a échoué plusieurs fois au concours de la gendarmerie. Les mains dans la terre ou le cambouis, « peu importe, j’aime ce métier, mais je voudrais porter l’uniforme. » Si cette année, elle tentera à nouveau le concours, entre-temps, elle continue « à tout donner pour satisfaire les clients », qui se pressent devant le garage.

En banlieue de Dakar, l’équipe du garage Femme Auto, à parité femmes-hommes, déjeune ensemble. / Pierre Gautheron/Hans Lucas

De nombreuses entreprises et ONG confient désormais les réparations de leur parc automobile à Femme Auto. « Lors de la campagne présidentielle de février, nous avons même eu à nous occuper de véhicules des candidats dont ceux des équipes du président Macky Sall, s’enorgueillit Ndèye. Ce qui intéresse la plupart des gens, ce n’est ni ton âge ni ton sexe, mais la qualité du service. C’est par l’effort que nous arriverons à faire évoluer la société », spécifie-t-elle avant de se remettre au travail.