Les silhouettes cartonnées de deux des candidats à la présidentielle ukrainienne Volodymyr Zelensky (au premier plan) et Iulia Timochenko, à Kiev, le 31 mars. / Sergei Grits / AP

Ce fut la grande peur des dernières semaines de campagne : une tentative de déstabilisation venue de Russie et visant un candidat, voire l’ensemble du processus électoral. A l’approche du scrutin présidentiel du 31 mars, l’Ukraine souffle. Hormis des cyberattaques régulières – de l’ordre d’une par minute, selon le conseiller du président Konstantin Eliseev –, l’apocalypse annoncée semble ne pas avoir lieu.

Mais à mesure que s’éloigne la menace russe, ce sont les vulnérabilités internes à l’Ukraine qui apparaissent dans une lumière crue. « C’est l’une des campagnes les plus sales de l’histoire ukrainienne », relève Olga Aivazovska, de l’organisation d’observation électorale Opora. En cause, d’abord, la présence de plusieurs candidats dits « techniques » parmi les 39 impétrants – c’est-à-dire des candidats dont le seul objectif semble être de tromper l’électeur, à l’instar de Iouri Vladimirovitch Timochenko, qui voisine sur le bulletin de vote avec Ioulia Vladimirovna Timochenko.

Fébrilité des deux camps

Plus grave, les nombreux scandales – réels ou imaginaires – qui ont émaillé la fin de campagne. Le président sortant, Petro Porochenko, éclaboussé par une affaire de corruption impliquant ses proches, s’est aussi vu accuser de « dizaines de meurtres », à quelques jours du scrutin, par une télévision détenue par l’oligarque Ihor Kolomoïski, l’ennemi numéro un du président et soutien de Mme Timochenko. Pour protester contre cette manipulation, près de dix journalistes de la chaîne ont démissionné. Ioulia Timochenko, elle-même, a été accusée d’avoir pris des libertés dans le financement de sa campagne, dont une partie est attribuée à des donateurs introuvables.

La fébrilité des deux camps s’explique en grande partie par le fait que M. Porochenko et Mme Timochenko se disputent un seul fauteuil pour le second tour, le premier semblant promis à l’humoriste Volodymyr Zelenski. Mais la tension croissante fait désormais planer des craintes sur le scrutin lui-même. Des deux côtés, les accusations de fraude fusent. Mme Timochenko a été accusée d’organiser des achats de voix au niveau local, mais les accusations émanaient des services de sécurité (SBU), une institution très loyale au président.

Crainte de contestations

Des attaques équivalentes contre le président sont tout autant sujettes à caution car provenant du ministère de l’intérieur, tenu par un allié de Mme Timochenko. En revanche, le président semble bien faire un usage important de la « ressource administrative » : en régions, des aides sociales très ciblées ont été versées à des personnes identifiées comme partisans potentiels du chef de l’Etat. Près de 2 millions de retraités ont aussi reçu une prime exceptionnelle de 90 euros.

Dès lors, nombre d’observateurs craignent des contestations, voire des tensions, si les résultats venaient à être très serrés entre les deux camps. Le rôle de la police, et donc du ministre de l’intérieur, Arsen Avakov, deviendrait alors central. Celui aussi, potentiellement, des milices d’extrême droite, peu nombreuses mais aguerries au combat de rue.

« Le danger est réel, avertit Mme Aivazovska. Notre démocratie, parfois un peu trop vibrante, est ce qui nous distingue dans la région. Il ne faut pas que l’enjeu fasse oublier cela aux candidats. »